
Catastrophe ultraviolette, erreurs holographiques, disjonctions quantiques, altérations et répétitions dans les trouées de l’espace-temps ; autant d’autres façons d’organiser un récit. Catastrophes est une suite de fragments, de situations absurdes et oniriques qui se répondent et se superposent. Dans un éclat de rire, dans une inquiétude attentiste aussi, Pierre Barrault illustre la trouble irréalité de nos vies.
Le plus absurde (et n’est-ce pas le plus révélateur, c’est ce que tend à prouver ce curieux livre ?) est souvent le plus révélateur : on pourrait alors tenter de démêler un fil linéaire à ce récit. Un homme, Claire sa compagne et sa toute petite fille, se rendent à Beaupréau, plusieurs directions s’offrent à eux, le narrateur se sépare en trois pour en suivre toutes les directions. Sans avoir à le préciser, ce que tente Pierre Barrault est probablement (l’incertitude est souvent la signature du burlesque qui préside aux situations si burlesques peintes dans Catastrophes) de montrer que la linéarité du temps est une convention sans objet quand l’espace-temps contraint à percevoir le temps comme une notion malléable, perméable, pleine de ses répétitions et altérations qui font, d’un point de vue mathématiques, envisager la possibilité de multivers. Un autre monde est possible. Statistiquement, il ressemblerait passablement au nôtre avec quelques invraisemblables divergences. Peut-être est-ce ceci, à la première lecture, que nous offre Catastrophes. Mais dans l’univers foutraque et d’une belle drôlerie de Pierre Barrault tout s’arrête et reprend au seuil de l’inquiétude. Comme dans une suite de cauchemars, des motifs parcourent ces courts récits. Reflets possibles de la vie diurne de son auteur. La vie de famille, le soutien amoureux, le heurt des caractères, les aimables moqueries sur les impuissances masculines et surtout un incroyable sens de l’absurde.
L’auteur emprunte alors ces mots à À la recherche du réel : « La version la plus populaire est une doctrine du réalisme proche. » Peut-être davantage qu’à la physique quantique, Catastrophe réfléchit aux possibilités même du récit, à la manière d’organiser un récit qui n’est, peut-être, qu’une suite d’images, visions et intuitions, qui se suivent sans vraie solution de continuité. Pierre Barrault s’amuse de la construction admirable de ses fantasmagories où la peur se tapit. Le sosie de François Berléand ressurgit, l’inquiétude d’un trajet (le retour au pays natal) hante l’évolution géographique comme l’autre lieu-commun du récit. Ou serait-ce seulement des situations absurdes et drôles dont il est impossible de se dépêtrer. Et puis, qu’allons-nous faire d’un marin bourré de si bon matin. Peut-être le mettre dans son bain pour qu’il croie qu’il parviendra à vider la baignoire en enlevant ses vêtements, à moins que nous lui rasions la tête pour voir si ses cheveux repoussent sur la tête de sa femme. Mieux vaut ne pas s’endormir avec l’air de Drunken sailor en tête ; mieux vaut lire Catastrophes pour comprendre à quel point nos vies ne sont qu’une suite de dérèglements dont il faut rire avant que la peur ne les rattrape.
Un grand merci à Quidam pour l’envoi de ce vol de mouette dans un salon Louis XV
Catastrophes (124 pages, 15 euros)