
Des insomnies imaginatives, endeuillées, des rêves qui se veulent lucides, un meurtre par démence sénile. Derrière l’humour, sous la facétie et la fantaisie, la gravité de Vanessa Barbara se devine dans sa rieuse exploration des états-limites de la conscience. Les nuits de la laitue se révèle un roman admirablement construit, plaisant sous son apparente légèreté.
Il faut bien le dire, Les Nuits de laitue offre tous les ingrédients d’un roman qui marche, voire d’un roman conçu pour toucher le plus large public possible. Il ne paraît pas très utile de s’en plaindre, peut-être seulement de souligner que le roman parvient à faire oublier qu’il est calibré : chapitres pas trop long, belles tensions narratives par des retours en arrières et des changements de points de vue qui finalement se relient. On pourrait aussi pointer un des dangers de l’humour : s’avérer anodin dans son optimisme, inopérant dans sa volonté de blesser personne et de montrer, en tout instant, sa sympathie pour les aimables facéties de ses personnages. L’autrice parvient pourtant à proposer un pas au-delà, à emporter le lecteur dans ce qu’elle construit comme de possibles hallucinations.
Des pistes aléatoires sans qu’il y ait de narrateur en voix off pour les rassembler en une histoire sanglante de dissimulation et de mort, grâce à une trame complexe dont tous les points seraient finalement reliés, permettant au lecteur d’aller dormir tranquille.
Une histoire de sommeil. La seule nuit où Otto parvient à dormir, le drame se noue. Vanessa Barbara donne à lire la belle (trop?) histoire de son couple avec Ada, de son lent réveil que serait son deuil. Soulignons alors les échos par lesquels ce roman m’a touché. Pour rester chez Zulma, une des voisines d’Otto est ethnographe dilettante, elle s’intéresse, par contrainte, à cause peut-être du cadavre au centre bien sûr de ce roman, aux cafards, aux tribus qui en consomment pour une transe rituelle. Difficile de ne pas penser alors à La mort et le Météore de Joca Reiner Terron, son compatriote. Un autre écho qui révèle l’intérêt de ce roman est celui créé par le joli personnage de Nico. Par sa passion pour les effets secondaires des médicaments, il finit par s’intéresser à la possibilité de mener des rêves lucides. On pense alors au très beau La société des rêveurs involontaires de José Eduardo Agulasa. On sait alors que Vanessa Barbara propose une discrète réflexion sur le pouvoir : un rêve nécessaire, heureux parfois, indispensable pour nous aider à croire que les choses ont un sens, que l’on pourra s’en reposer, que leur conséquence est un cauchemar aussi risible qu’une liste d’improbables, et pourtant réels, effets secondaires. À moins que ce ne soit une guerre perdue, menée solitairement, quand tout le monde se croit en paix.
Merci aux éditions Zulma pour l’envoi de ce roman.
Les Nuits de laitue (trad : Domnique Nédellec, 185 pages, 8 euros 95)