Asymétrie Lisa Halliday

Belle réflexion sur le destin, sur son écriture donc, que ce premier roman habile, plein d’emprunt, de pastiches, en quête de ce que nous sommes, de tout ce dont on ne se souvient pas. Lisa Halliday mêle deux récits : une histoire d’amour et une histoire de guerre, les disparités entre l’ici et l’ailleurs, les similitudes de tout roman d’initiation. Asymétrie ou l’art de laisser en suspens les parallèles, les souffrances aussi.

Le premier romand de Lisa Halliday parvient à maintenir son lecteur dans l’étonnement par la constante de cette question : en quoi dans ces deux récits si différents peut-on reconnaître l’autrice ? Voire : peut-on parler de ce qui ne nous touche pas, mettre en scène avec précision et justesse des conflits qui ne nous concerne pas ? Autrement dit, quand Lisa Halliday s’imite t-elle elle-même ? quand elle décrit une histoire d’amour d’une jeune fille pour un écrivain âgé ou quand elle s’aventure dans le récit d’un Irakien coincé dans un aéroport ? En transit entre deux identités incertaines, les personnages d’Asymétrie interpellent, on touche par ellipses successives leurs souffrances. On en vient d’ailleurs à se demander si on ne peut interroger le roman autrement que par imitation. L’histoire d’Alice commence, bien sûr, sous le signe de l’emprunt. Lewis Caroll et son autre côté du miroir, of course. Mais surtout la parodie de la stature du romancier. Si on y tient, Lisa Halliday pourrait suggérer que cette imaginaire a fait son temps et qu’elle en pastiche, alors, les figures essentielles. Le base-ball et la musique classique. Mary-Alice (apparaît jamais autrement que sous une double identité ?) espère une initiation, le récit s’en empare avec une ironie in absentia. Une histoire d’amour dans son manque de réciprocité par la répétition d’appel du numéro caché d’Ezra Blazer, cet écrivain, manière de décalque de Philip Roth, dont s’enamourache Mary-Alice. L’autrice parvient, comme dans la meilleure tradition du roman américain (on pense à James Salter), à rendre les souffrances quotidiennes, les bêtes dissimulations, les égoïsmes, bref le quotidien d’une relation amoureuse dont l’absence d’issu frappe. Ezra attend son prix Nobel, Mary-Alice, une figuration d’elle-même. Elle advient peut-être dans le deuxième récit, possiblement le roman qu’elle se met à écrire.

Étrange, ai-je songé, comment, quand on est soustrait du monde contre son gré, ses problèmes commencent à paraître moins injustes et aléatoires que la conséquence logique d’une bêtise crasse.

L’autre partie du roman, fascinante à plus d’un titre, interroge la prédestination de nos vies, l’illusion de pouvoir y échapper sans doute se nomme d’ailleurs roman. Amar l’interroge derrière la belle image des auto-tamponneuses : on se heurte, on croit choisir nos chocs, feindre de déterminer ceux que l’on peut éviter, alors que les circuits de cette attraction de foire sont limités, pour ne pas dire déjà écrit. Mise à la question de la foi, comprendre de toutes ces certitudes irrationnelles sur lesquelles s’appuient notre quotidien. On peut encore se demander si Lisa Halliday n’est pas ici dans l’imitation. Asymétrie se dote alors d’un aspect proprement dostoïevekien, une lutte polyphonique contre le nihilisme et son absurdité. Ainsi, Mary-Alice le note : « à mon sens, un artiste est une mémoire puissante qui traverse de biais et à sa guise certaines expériences.» Pour interroger, autre question centrale du roman, la possibilité même de témoigner le récit d’Amar sert à mettre en scène ce dont il ne souvient pas. Ses souvenirs sont un arrangement, une approche d’une réalité à laquelle il n’appartient pas. Il le dit en forme de saillie : un occidental reste un jour au Moyen-Orient, il écrit un livre, il y séjourne une semaine, il commet un article plein de peut-être, après un an, il ne peut rien en dire. Peut-être est-ce d’ailleurs là le point de convergence d’Asymétrie : le silence nécessaire sur ce que l’on vit, amour et guerre apparaissent seulement dans leur non-dit. Cependant, à la manière de À la lumière de ce que nous savons (peut-être aussi dans un pastiche indécidable d’un des lieux-communs du roman contemporain), Asymétrie parvient à faire de la littérature monde, à entraîner son lecteur dans un contact avec l’altérité. Par ses doutes précisément, par l’incertitude aussi de ses souvenirs, Amar donne une image frappante de l’Irak, d’un jeune homme un rien égaré qui vit chaque instant pour le profit qu’il pense à tirer et étudie alors, « science » la plus certaine de l’erreur, l’économie. On lira en tout cas avec plaisir les autres romans de Lisa Halliday.


Un grand merci à Folio Gallimard pour l’envoi de ce roman.

Asymétrie (trad : Hélène Cohen, 384 pages, 8 euros)

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