Aucune terre n’est promise Lavie Tidhar

Dystopies multiples, autant de glissements à partir de territoire que l’on s’approprie, hommage aussi au pulps au tant que réflexion sur nos non-appartenances à l’Histoire et à nos souvenirs. Aucune terre n’est promise ne propose pas seulement une réflexion, par décalage, sur Israël, Lavie Tidhar crée une pensée sur l’endroit, ses altérations, censée nous définir.

Aucune terre n’est promise se révèle un livre des plus surprenants. Il est rare que le roman propose des bifurcations, ne s’installent pas dans le luxe de sa situation initiale quand elle est, comme ici, si bien trouvée. Tout au long de son roman, Lavie Tidhar continue à inventer des hypothèses à partir de celle initiale assez séduisante. L’Histoire se serait enrayée : plutôt que de choisir la Palestine, le mouvement sioniste des origines, en 1904, aurait choisi une colonie au cœur de l’Afrique. La Shoah alors n’aurait pas eu lieu, Hitler serait quand même arrivé au pouvoir et surtout l’oppression se serait maintenue. Les colons auraient dominé et relégué les autochtones, auraient construit un mur. Tout le charme d‘Aucune terre n’est promise tient à sa capacité à ne jamais virer au pensum ou à la réflexion géo-politique un peu poussive. L’auteur nous entraîne dans une intrigue policière dont l’économie de moyen lui évite de disserter sur la situation, pour en faire des leçons de morales. Au fond, ce qui l’intéresse est le regard de l’autre, les failles dans les frontières d’un monde que l’on croit trop établi. Lior Tirosh croit revenir chez lui, dans cet Ararat City, cette Palestina alternative. La parole passe très vite à son poursuivant, un Bloom devenu, en visiteur, sbire des services secrets. Le lecteur éprouve un grand plaisir à voir que le récit lui échappe, des détails ne s’enclenchent pas, l’histoire n’est pas cette fiction transparente. Elle ne cessera d’osciller sous les amnésies des personnages.

Penses-tu que le monde est réel ? Le fait même de poser cette question, d’admettre sa pertinence, revient à accepter une possibilité. On ne peut pas vivre tranquille avec cette idée. Il faut ériger des murs. Tracer des frontières.

Aucune terre n’est promise se fait alors hommage à la science-fiction des origines, celles des pulps, ces magazines populaires où s’est inventé une autre façon d’appréhender le quotidien. Révérence à tous ceux qui fuient la réalité, à ceux qui savent sans doute ainsi que son confort est le plus souvent assuré par les armes. Israël, réelle ou fictive, devient alors le territoire des glissements. Ppour Lavie Tidhar il s’agit aussi du point de rencontre entre la kaballe et la physique quantique. Les personnages qui pourchassent Lior peuvent passer d’un monde à l’autre, d’une version à l’autre de la réalité. On aime assez que dans chacun de ses mondes la fiction demeure une ligne directrice. Les écrits de Lior passent eux aussi d’un monde à l’autre. Aucune terre n’est promise sur ses prémisses savantes reste un roman populaire, doté d’une belle intrigue, échevelée même, le roman transporte son lecteur. On parvient à croire à cet univers, on voit les senteurs de cette Palestina inventée, on goûte à cette possibilité de plurivers et au fait que partout le monde soit en guerre, en lutte au moins pour le rendre habitable, pour effacer ceux qui y habitaient. Continuer à croire malgré tout que notre capacité de mémoire tient à notre capacité d’imaginer un autre passé, d’inventer un futur de glissement, sans mur ni frontière.


Un grand merci aux éditions Mu pour l’envoi de ce roman de ruptures dans le réel.

Aucune terre n’est promise (trad : Julien Betan, 259 pages, 21 euros)

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