
Plongée quasi documentaire dans la violence institutionnelle russe, ses répressions de toutes revendications indépendantistes et surtout des réponses désespérées, terroristes, de ceux essayant – par hasard plus que par destin – de s’y soustraire. Une suite d’événements retrace, avec une parole contestatrice et ironique, les raisons, jamais les excuses, d’une prise d’otage. Mikhaïl Chevelev, à travers un parcours documenté sur les différentes guerres russes contemporaines, révèle notre naïveté, nos façons de composer avec l’aveuglement, ici ou ailleurs, de l’époque.
Au début, Une suite d’événements apparaît pour ce qu’il est aussi : un roman de journaliste. On reconnaît tout de suite dans le narrateur, une version de l’auteur comme lui journaliste ; on attend une légère distorsion de la réalité, une distanciation politique. La réalité semble suffire, sa mise en scène, entre flashback et tension temporelle d’une prise d’otage dans une église finit par former un matériau romanesque intéressant précisément dans ses ambiguïtés, dans l’ironie marquée par le narrateur. La survie d’un journaliste au jour le jour, de la faune journalistique, son rapport avec l’actualité et ses difficultés à l’envisager comme une histoire en train de se faire. Des manipulés manipulateurs comme disait Bourdieu. Fort heureusement, cette prise d’otage devient l’occasion de lutter contre le cynisme qui gangrène la profession. On s’est trompé parce que cela nous arrangeait,peut-être n’est-il pas trop pour s’en excuser, sans doute cela ne changera rien.
Je ne veux pas être tenu responsable pour la prostitution d’autrui, la mienne me suffit amplement.
Une suite d’événements rejoint alors la grande tradition du roman russe, son interrogation de nos ambivalences morales, sa tension vers l’universel. Ce qu’affirme avec force Chevelev est que nous méritons, nous ne l’avons pas gagné mais nous le méritions, tout ce qui nous arrive. En Russie, on détournait la tête quand on disait que tout a commencé en Tchétchénie. Une suite d’événements remonte alors implacablement un enchaînement de faits que l’on ne préfère pas voir. Pavel Volodine pour se faire un peu d’argent part en Tchétchénie, en quête du scoop fait libérer des prisonniers de guerre. Il se laisse prendre, comme nous tous, à ce paisible récit. La vie passe, on fait avec. Le roman alterne joliment souvenirs et l’impasse qu’il révèle de plus en plus. Une colère impuissante, une rage sans naïveté ni jugement. Nous sommes tous Pavel Volodine, comme le souligne Ludmila Oulitskaïa. On s’offusque du terrorisme pour mieux voir que certains n’avaient, peut-être, aucune autre issue, que notre système actuel l’engendre aussi sûrement que les guerres qu’il déporte en sa périphérie. Salutaire rappel que ce roman qui use de tous les armes du genre, on s’y laisse happer.
Un grand merci aux éditions Gallimard pour l’envoi de ce livre.
Une suite d’événements (trad : Christine Zeytounian-Beloüs, 168 pages, 18 euros)
Bon jour,
Il est est vrai que depuis 1905 la violence est bien présente …
Max-Louis
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On s’y laisse happer, en effet, et l’ironie permet une remise en question russe qui tend vers l’universel, comme tu le dis… je me demande comment l’auteur peut encore écrire dans son pays et je suis admirative de son audace.
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J’ai repensé à Anna Politovskïa, assassinée à Moscou le 7 octobre 2006 après ses reportages en Tchétchénie, et vu la pièce de théâtre (« Anna PolitovskaÏa, femme non rééducable ») à Paris…
Merci pour l’ouverture vers ce livre.
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