Les bâtardes Arelis Uribe

Le moment où l’on passe à autre chose, celui où advient la réalité – entre horreur et humour – de la vie de jeunes filles de la classe moyenne inférieure, celui surtout où ces huit nouvelles parviennent à incarner, dans les objets où dans les sensations, le souvenir. Outre le nécessaire projet de faire rendre voix à celles que l’on ne voit pas, Les bâtardes parvient à incarner des situations, des malaises, une vision. En quelques pages, dans la précision de ces notations à la première personne, Arelis Uribe incarne le Chili des années 90.

Il paraît que la nouvelle, en France, se vendrait mal, serait à ce titre dédaigné par les éditeurs. Tentons ici de ne pas accepter cette fatalité, d’en parler aussi souvent que possible afin de donner, modestement, un peu de visibilité à ce genre si exigeant. La nouvelle exige la concision et surtout de savoir poser une situation. Arelis Uribe parvient à nous embarquer, à chaque fois, dans la sensibilité de ses personnages tout en dessinant une manière de continuité pour mieux en souligner les subtiles différences. On pourrait d’ailleurs si son projet ne tient pas à ceci : dire le commun, le générationnelle, le sociologique, précisément pour en divertir une singularité, un point de vue sur une expérience commune, banale souvent, traumatisante parfois, féminine toujours. La nouvelle, à son meilleur, pose des situations sans les juger, suggère les raisons de l’impasse dans laquelle se trouve le ou la protagoniste. Les bâtardes joue alors de la répétition et de la reconnaissance. On peut quand même le dire, on s’est prit un coup de vieux à retrouver sa jeunesse dans la manière dont l’autrice parvient, par un détail (Napster et le bruit du modem) à restituer l’air du temps d’une société en pleine mondialisation précisément par le point de vue de ceux qui en seront toujours victimes. Il ne faut en aucun cas dénier l’importance politique de l’unité de ces histoires de cousines, de souvenirs d’un chien kidnappé par celui qui nous suit un soir d’ivresse, de garçon avec qui on entretient une relation si décevante dans la réalité, d’une amie que l’on perd de vue, d’un kiosque dans le délabrement d’une école publique, d’un horrible jour bissextile ou d’une révélation que l’on a pas su faire à une amie.

La vie telle qu’elle se passe, la souffrance telle qu’elle revient. Arelis Uribe donne une indéniable légèreté à sa prose pour donner à voir la souffrance intangible de tous les moments de passage racontés dans ces huit belles nouvelles. Un traumatisme peut-être commun à toutes les jeunes filles. Une perte sans aucun doute commune, une déception avec laquelle on compose peut-être. Une profonde impression de vie, entre douleurs et déceptions, se propagent de ses nouvelles. Une bien belle découverte.


Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce livre.

Les bâtardes (trad : Marianne Millon, 113 pages, 14 euros)

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