
Éloge de la frivolité dans un exercice contrarié, fictif, de la mémoire. Sous ses allures d’autobiographie légère, superficielle – entre amour et enfants – Gema ausculte la perte et son acceptation. Milena Busquets revient, sans heurts ni fantôme sur son adolescence, sur la défense malheureuse, dupe d’elle-même, de sa frivolité.
J’imagine qu’il vous est déjà arrivé de vous sentir exclu d’un roman par l’évidence, sans doute passablement complexe, qu’un roman ne vous est pas destiné, que vous n’êtes pas le public ciblé. Sentiment qui m’agace toujours sans doute parce que déjà il limite le propos de l’auteur, le fait sombrer dans un argument journalistique, facilement compréhensible, clairement identifiable. Je m’en veux déjà de parler de littérature féminine mais c’est malgré tout un embarras de cet ordre qui a entravé ma lecture. Le pire cependant fut que cette histoire de filles, de fringues et de copines s’entend dans une désinvolture où il m’est difficile de ne pas entendre un confort et un mépris de classe. Ah, la dure vie des autrices qui ne savent où partir en vacances(en Grèce au à Majorque) coincées sur une traduction, où les soucis d’argent s’estompent derrière ceux de savoir où boire un mojito ou quel jean enfiler ! Ne sombrons pas dans la caricature, précisément parque Milena Busquets fait de son héroïne une coupable alter-ego dans une vision un peu farce d’elle-même. Passons sur les soucis d’une quarantenaire si bien assise dans la société, passons aussi sur l’incandescence que pourraient recevoir ses sentiments et oscillations une fois passés au laminoir de l’écriture. Nous pensons ici, sur un sujet assez proche, à Bruit dedans d’Anna Dubosc.
Mes souvenirs eux-mêmes commençaient à se perdre dans le sable. Je ne me désaltérais plus à eux, je n’avais plus accès à la source originale, je n’étais plus capable de revenir au jaillissement de l’instant, parfois il me semblait que c’était quelqu’un d’autre qui les avait vécus et me les racontait.
Le jeu de Gema pourtant est plus trouble. La prose finit quand même par exercer une sorte de fascination. Il faut le rappeler, n’est pas frivole qui veut. L’excès de superficialité finit par découvrir des gouffres. On les traverse sans insister, comme on dénonce un travers de société, comme on se complaît aussi dans ce que l’on ne parvient à éviter. C’est peut-être le point le plus intéressant de ce mince roman, son charme tient à ce qu’il ne parvient pas à faire, comment la vie s’efforce de ne pas cadrer avec les arrangements de la fiction. L’autrice part à la poursuite d’un fantôme de son adolescente, en quête d’un souvenir d’une mauvaise conscience. Difficile, au risque de me répéter, de ne pas voir ici une sorte d’indifférence très petit-bourgeoise dans la manière dont la narratrice ne sait plus grand-chose d’une de ses amies au lycée français. On aurait aimé une distanciation, une prise de conscience, de tout ce que ce milieu a de faussement évident, d’usé même dans sa maîtrise de l’ironie, dans la duplicité de sa frivolité. On s’accuse dans un sourire : la narratrice est certaine d’avoir vu une dernière fois son ancienne amie avant qu’elle ne meure d’une leucémie.
Gema pourtant m’a intéressé justement dans son éloge de l’amitié. Incarnation d’une perte, de cette confiance absolue, peut-être même de cette possibilité de légèreté. La narratrice voit dans ses amours une manière de répétition en mineur de cette relation absolue. On ne connaîtra jamais exactement son degré de dénonciation ou d’acceptation. Elle se laisse porter dans les doubles-fonds de la mémoire. Il lui reste si peu de souvenir, la matière de ce livre est aussi évanescente que sa prose délicatement futile. Moins que rien, le nom du restaurant des parents de Gema, l’amie morte, les faire-parts de décès publiés tous les ans dans les journaux, la douleur de ses parents que l’on ne saurait comprendre. La vie, ridicule et pleine d’arrangements apparaît souvent dans Gema. Sous la frivolité, Milena Busquets sans doute dit quelque chose de nos sociétés, de leur individualisme mais aussi, bien protégée derrière la superficialité, la possibilité de la joie.
Un grand merci aux éditions Gallimard pour l’envoi de ce roman.
Gema (trad : Roberto Amutio, 141 pages, 14 euros 50)
Un commentaire sur « Gema Milena Busquets »