Se construire avec patience, lettres de liberté et de détermination Charlotte Brontë

Naissance d’une autrice au sein du chaos familial, des sensibilités qui s’y font jour ou s’y occulte. Ce choix de lettres, par définition toujours trop bref, montre une Charlotte Brontë en quête d’une indépendance matérielle et une acerbe conscience des enjeux éditoriaux de son œuvre en cours.

Après les correspondances de Kafka, Emily Dickinson, Nietzsche et Pessoa, Les éditions de L’Orma continue leur jolie publication de correspondance à envoyer, à partager. Avouons avoir été ici presque frustré par la brièveté de ce recueil et donc le choix. Une impression de survol dont, certes, émerge une détermination paisible et assurée. Sans doute cette correspondance éclaire d’abord les failles d’une existence plus ou moins recluse, dans ce presbytère de Haworth d’où se déploya toute l’imaginaire de la famille Brontë. Le livre comporte une reproduction du portrait « à la colonne », des sœurs Brontë. Le lecteur le connaît peut-être. On aime ce repentir par lequel Branwell s’efface de cette toile mais laisse sa fantomatique présence. Elle hante toute une partie de cette correspondance. Un destin occulté, une influence passée sous silence, une crainte entre fascination et répulsion pour la folie qui marquera l’œuvre des sœurs Brontë. À sa mort, Charlotte signe une très belle lettre, toute d’émotion contenue, de réprobation aussi, pour cette mauvaise pente, pour la souffrance sans issu du delirium tremens et autres crises de manque, pour « l’avortement sombre et soudain de ce qui aurait pu être un noble parcours. » Branwell restera l’initiateur. La famille s’invente une épopée intime, une sorte de jeu de rôle retranscrit. La naissance d’une œuvre, d’une mise en récit de ce qui n’est pas uniquement une transfiguration du vécu.

C’est toujours un des dangers de la correspondance : un choix de lettres risque d’accentuer la souffrance, se hasarder à la reconnaissance de motifs autobiographiques. Difficile de ne pas entendre cependant l’impact d’amours non partagées dans la création artistique. Plus intéressant, me semble-t-il, est de comprendre, dans le cas de Charlotte Brontë, à quel point ses amoureux attraits sont contingents. Des ébauches de romans déjà dont le vécu reste la matière première. Une très jolie lettre sur la privation de parole, le silence imposé d’un amour non partagé. Jane Eyre est aussi, si on croit ce choix de Lettres, la quête d’une vérité vécue, d’un livre vrai. Très souvent, la correspondance insiste sur le matériel, son perpétuel souci chez celles qui ne sont pas nées riches. Charlotte sera gouvernante, tombera amoureuse de Constantin Héger, un enseignant dans une institution où elle professe. Ce bref choix de lettres plonge alors très rapidement dans la vie littéraire des Brontë. Une très jolie lettre où se tient le récit de sa reconnaissance en tant qu’autrice, sa façon d’échapper au pseudonyme et de s’affirmer en tant que femme. Comme toujours chez les éditions L’Orma, Se construire avec patience est une très belle invitation à découvrir l’intégralité de la correspondance des Brontë, à relire leurs romans et poèmes.


Un grand merci aux éditions L’Orma pour l’envoi de ce pli.

Se construire avec patience, Lettres de liberté et de détermination (trad : Margaux Bricler, 62pages, 7 euros 95)

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