
Fines chroniques, à hauteur de femme, de la vie confinée, du rapport à l’écriture et à nos propres justifications, au virus du mépris, à la mort qui n’arrive plus qu’aux autres. Avec cette désinvolture assurée, cet à-propos du témoignage humain, Zadie Smith livre un aperçu de l’Amérique, de son quotidien d’autrice. Indices autant de point d’accroche pour ce moment si dur à penser.
Il fallait s’y attendre : les livres sur le confinement arrivent. Sans doute, au moins sur ce carnet de lecture, moins nombreux que prévu. Pas nécessairement bon signe, on peut se demander si seul un auteur reconnu a une chance de voir son projet aboutir. Zadie Smith parvient encore à ne pas se confondre dans ce privilège dont, en adéquation de toute son œuvre, elle fait le sujet même de ce livre. Avec toute son intelligence, il ne s’agit plus seulement d’évoquer le privilège blanc mais aussi celui qui consiste à prendre la parole, à prétendre rendre compte d’un événement radicalement collectif. Indices y parvient justement par la revendication de sa plus grande singularité possible, par l’exposé aussi – presque comme des notes bibliographiques – de tout ce qu’elle doit à autrui. Plutôt que de jouer à la spécialiste, Zadie Smith parle de ce qu’elle connaît : l’écriture. Peut-être qu’un écrivain ne devrait parler de rien d’autre. Seulement de sa manière de dire le monde et donc comme il s’insère, s’approprie ou met à distance un discours politique.
Converser avec soi-même peut-être utile. Écrire c’est donner à l’entendre.
Indices date de 2020. Peut-être est-ce une platitude de le rappeler mais il nous montre, un an après, à quel point nous nous sommes acclimatés. On s’habitue, insensiblement le virus du mépris se propage. Sans doute est-il révélateur de la façon dont une seule manière de voir le monde tend à s’imposer. Un seul exemple : le Covid ou l’imposition de la logique financière. Calculatrice inhumanité de parler du nombre de cas, de ne jamais évoquer l’expérience unique que cette maladie demeure pour chacun. Zadie Smith montre bien à quel point il s’agit de se protéger, de s’enfermer dans le mépris. Elle démontre, toujours avec une certaine légèreté, à quel point cette pandémie sert de révélateur à ce trait américains (devenu sans doute universel par impérialisme) : la mort c’est pour les autres, ceux qui ont un mauvais comportement, de la malchance ou sont, tout simplement pauvres. Indices rappelle aussi cette illusion d’immunité de masse, la difficulté de croire que nous parviendrons, collectivement, à nous immuniser contre le mépris, ses ségrégations, toutes ses si ordinaires façons de penser d’abord à soi. Où Zadie Smith est touchante c’est surtout que jamais elle ne s’extrait de la masse. Même sa façon de parler d’écriture a quelque chose de délicieusement collectif. La simplicité de sa réponse à la sempiternelle question de savoir pourquoi l’on écrit confine à une insupportable évidence : pour faire quelque chose. Sans doute n’a t-elle pas tort de souligner que tous ceux qui savent le nom de tous leur voisin, l’art de la conversation au du gâteau à la banane répondent d’une manière aussi valable à l’angoisse de remplir notre temps. Écrire serait alors s’exposer dans un autre rapport au temps. Zadie Smith l’expose avec une vraie auto-dérision. Le confinement le plus strict aurait radicalisé l’expérience de l’écrivain, celle de devoir imposé une nécessité à ses heures. En faire quelque chose. Au moins elle nous épargne le couplet culpabilisant de tous ceux, artistes nantis, qui affirment que la crise sanitaire leur a été prétexte à se recentrer, à voir l’ordre du monde. Zadie Smith a la décence de se placer dans les travailleurs non-essentiels, de ne jamais mépriser tous ceux qui n’ont eu aucune part à cette expérience collective. Un petit livre, volontairement et magnifiquement modeste, un de ceux où l’on entend cependant la voix de son auteur.
Merci à Folio Gallimard pour l’envoi de ce recueil.
Indices (trad : Sika Fakambi, 132 pages, 8 euros 60)