
Suite des rocambolesques aventures du Capitaine Hornblower, Un vaisseau de ligne nous plonge cette fois franchement dans les guerres napoléoniennes au large de la Catalogne, leurs escarmouches comme autant d’actes de piraterie plus au moins déguisés. Toujours avec un courage inconsidéré, romanesque en diable, Hornblower poursuit son initiation maritime, son apprentissage de son rôle. Un bien joli roman d’aventure.
La lecture d’Un vaisseau de ligne confirme l’impression difficilement situable, plaisante sans être entièrement satisfaisante, que donnait L’heureux retour. On s’abandonne totalement à la lecture de ce second volume signé par Cecil Scott Forester et toujours si littérairement traduit par le grand Louis Guilloux. Le roman d’aventure serait-il un plaisir coupable ? Avouons s’y être totalement laissé prendre. Sans doute par la poursuite de sa précision matérialiste, l’auteur parvient à nous rendre le prix de l’héroïsme. Naissance de l’individu moderne, seule la fortune donnait de la chance en mer. En ces temps de guerre, Hornblower doit affréter à ses frais un navire, payer son équipage et autres fournitures. Sous la contrainte aussi bien sûr quand l’ hasardeux attrait du gain n’y suffisait pas. Un vaisseau de ligne a un aspect documentaire des plus saisissants d’autant qu’il est noyé dans un récit sans temps mort. Hornblower est toujours aussi opaque à lui-même, détestable souvent, il incarne tous les aléas du regard social. Comme dans L’heureux retour il oscille entre l’ici et l’ailleurs. Marin dans l’âme, il fuit son foyer, sa femme qu’il n’aime pas, surtout – c’est dégueulasse – quand elle le renvoie à sa propre condition.
Plus de conquête mais de la rapine. Cecil Scott Forester interroge sur ce qui faisait un héros. Sa réputation toujours plus au moins usurpée. Une manière de manœuvrer entre des mauvais choix. Hornblower se retrouve à escorter, entre intérêt privé et faits de guerre, un navire de la Compagnie des Indes sous les ordres du mari de Lady Barbara, son amoureuse de l’ombre. L’auteur prend le temps d’installer sa série, de poser ses personnages. Un des plaisirs de cette lecture est de retrouver ce Hornblower qui voit dans l’action un dérivatif à ses sombres pensées. Routine de la mer et de ses aventures délicieusement invraisemblables, magnifiquement romanesques. Le roman date de 1938. Il interroge notre conception de la guerre, de l’individu, du prix accordé à chaque mort. Avec une très anglaise supériorité, Hornblower livre un regard acide sur l’absence de grandeur de l’empire napoléonien, sur l’Histoire telle qu’elle se vit au jour le jour. Rien que d’ondoyants arrangements matériels. Soulignons une fois encore que ce roman tient par la maîtrise de ses scènes d’action, leur apparente crédibilité, leur façon de faire oublier un vocabulaire technique qui en donne toute la saveur. Avec cette impression d’un retour dans le passé, d’une reconstitution d’une conscience dépassée.
Merci à Folio Gallimard pour l’envoi de ce roman.
Un vaisseau de ligne (trad Louis Guilloux et René Robert, 375 pages)