
De la chute à la disparition, de l’opacité à soi à la fugace inscription au monde. Dans son écriture sensible – précise et pleine d’échos – Thomas Giraud parvient à faire apparaître Bas Jan Ader, artiste performer, disparu en mer lors de l’une des performances en quête du miraculeux, d’un de ces instants supérieurs de conscience dont Avec Bas Jan Ader donne une réelle incarnation.
Après le très beau Le bruit des tuiles, Thomas Giraud continue son exploration des destins impossibles. Une poursuite de son habile manière de nous parler, comme il le dit de son personnage « de région profonde à région profonde », une façon surtout d’affronter l’inconnaissance, d’accepter que ce que l’on sait d’autrui est toujours une reconstitution, une approche. Difficile de ne pas être sensible à la grandeur que le romancier parvient à restituer dans le flot des vies dont il s’empare. Difficile surtout de n’être pas sensible à son style comme si seul son travail d’écriture pouvait cerner son objet ici aussi particulièrement fuyant. De livre en livre, Thomas Giraud semble préserver la beauté des échecs magnifiques, maintenir notre aspiration au miracle. Sans doute n’est-il pas inutile de préserver la croyance d’une vie qui vaut seulement dans ses instants de dépassement. Il trouve avec Bas Jan Ader un parfait exemple du sérieux de la pitrerie, de ce choix qui s’impose, dans une apparence de hasard qui, tout aussi bien, est peut-être la somme de ce que nous sommes, de tous les fantômes que nous sommes. Notons d’ailleurs qu’une réserve que nous pouvons formuler dans cette reconstitution devient le moins mauvais éclairage de son projet. On peut, je crois, penser que l’auteur en fait un peu trop dans la détermination de l’absence du père, ses vêtements de héros, le fantôme de l’héroïsme de celui qui, durant la seconde guerre, faisait clandestinement passer des frontières, l’opacité laissée en héritage. Thomas Giraud parvient pourtant à donner matière et saveur, autant d’instantanées d’une reconstruction hasardeuse, incomplète mais toujours avec le sérieux de la pitrerie. Au fond, jamais nous ne saurons grand-chose de cet homme connu par la captation de ses chutes, du désir que peut-être il y lisait d’un instant de vacillement, « pénétrer au plus près du désastre de la chute, faire un grand rassemblement de souvenirs. » Avec une belle intelligence, le livre alterne le récit d’enfance, de formation et la tentative de l’ultime performance, traverser l’océan dans un bateau trop petit et fragile. Si le roman marche, comme on dit, c’est sans doute de toujours s’élancer de cette inconnaissance. Désir suicidaire de disparaître, provocation de hasard ou, qui sait, une façon de signer la solitude qui, selon l’auteur, a toujours accompagné Bas Jan Ader.
une incertitude presque scientifique qui ne voudrait pas dire autre chose que le doute est permis, partout, que les certitudes sont idiotes et qu’il y a toujours une possibilité, même infime, pour autre chose.
La littérature, peut-être, n’a pas d’autre sujet. Thomas Giraud parvient d’ailleurs admirablement à ne pas se contenter d’une exégèse de l’œuvre de Bas Jan Ader mais de nous en faire sentir la sidération, la recherche passionnée, la tentative désordonnée et magnifique. Par la distance de l’inconnaissance, avec ce tu par lequel il dialogue avec l’artiste, l’auteur nous fait comprendre à quel point il est toucher, sans doute lui aussi veut y accéder, par cette « histoire sentimentale de gamelle que l’on pourrait s’approprier ou une manière d’éprouver, au sens d’apporter la preuve, d’être au monde. » Ne pas faire de la biographie mais plutôt que l’écriture donne vie, porte trace de ce rare passage, soit témoignage de ce qui pourrait continuer à nous inspirer. Nous évoquions le style de Thomas Giraud, il faut aussi dire toute son indispensable pertinence, sensibilité et vision, pour raconter le dernier voyage, la dingue immensité maritime, le silence de l’ultime tempête.
Un grand merci à La Contre Allée pour l’envoi de ce roman.
Avec Bas Jan Ader (177 pages,…)
La performance aura donc été de disparaître… un absolu artistique. 🙂
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