Western Spaghetti Sara-Ànanda Fleury

Des nouvelles d’un ailleurs où tenter de s’enraciner, autant de récits sur nos instants de choix où Sara-Ànanda Fleury saisit troubles et basculements. Souvent ironiques, les huit nouvelles de Western-Spaghetti ne sont jamais caustiques, résignées, il en ressort l’énergie brute de destins ouverts, l’espoir du renouveau dans l’adversité, l’invention d’un ici où se situer.

On pourrait commencer par cette formule trop sonore : le lien de toutes ses nouvelles est le lieu. Le Québec comme carrefour des exils, amalgame des influences états-uniennes, canadiennes et françaises. On y devine bien sûr l’itinéraire de Sara-Ànand Fleury. À mes yeux ce biais biographique n’est pas si décisif tant son recueil de nouvelles brille par sa capacité à emprunter d’autres voies. Au risque de l’exercice de style, de la variation un peu trop systématique de tonalité et d’univers à chaque nouvelle. Western-Spaghetti s’y expose un poil. Vie domestique d’une trentenaire désœuvrée, un gamin égaré dans les motels, un Kabyle en exil depuis un certain 11 septembre, gosses perdues dans la violence et la canicule, un petit vieux qui enfin joue son duel, d’une danseuse de retour dans sa jeunesse, un couple sans attache d’être en gardiennage, père trop possessif par ses projections paniques. Mais peut-être est-ce véritablement-là l’amalgame des influences : Western-Spaghetti se réclame de la meilleure tradition américaine de la nouvelle, celles des tranches de vies, du sens suspendu qu’on pourrait toujours leur prêter. Sara-Ànandra Fleury pratique volontiers la fragmentation, joue plutôt pas mal de la rapidité de la nouvelle. Dans « Album de famille » et « Mohamed A.B » elle décline des instantanées, des suites de sensations presque comme autant de nouvelles à l’intérieur de la nouvelle. Jusqu’à une impression de continuité quasi faussé assez intéressante.

Que je ne vis que pour l’art de peindre les lignes de fuite. « Peins ce qui t’empêche de peindre », disait Asmaa. Raconte ce qui t’empêche de raconter.

Les moments de bascule inventés dans Western-Spaghetti tiennent alors énormément à l’invention d’un lieu à soi, fugitif attachement. Que ce soit un lac ou enfin être invisible à la violence, un toit escaladé avec des skateurs, une maison squattée, une autre censée ressembler à un introuvable chalet suisse, ou le printemps québécois, l’autrice décline les lieux où enfin être soi. Peut-être, belle promesse. Notons au passage avoir tout de même préférer les nouvelles de l’ailleurs et trouvé que les nouvelles « françaises » sonnaient un rien trop pittoresque (le choix des noms de personnages dans « Comme dans un western spaghetti ») ou incarnation trop transparente d’une parisienne aboulie citadine contemporaine (« Album de famille »). Au contraire, par un effet d’exotisme inversé, j’ai trouvé la nouvelle « Cerbère » tout à son univers : l’été dans une péninsule trop chaude, une fratrie qui s’invente des fuites et l’autrice qui donne ainsi à voir le sentiment de l’ici. Peut-être est-ce un peu plat de dire cela mais ce qui charme vraiment dans Western Spaghetti est la constante énergie qui anime chacun des personnages. Une sorte de renouveau printanier après un pénible hiver, les traces de l’engouement – juvénile ou d’une vie dite ordinaire -comme le meilleur ici que l’on doit continuer à trimballer avec soi.


Un grand merci au Quartanier.

Western Spaghetti (273 pages, 20 euros, 26,95 $)

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