Les limbes de Bzjeurd Olivier Sillig

L’univers rendu à ses soumissions plus ou moins imaginaires, à la violence de sa croyance désespérée à un sens, à un ordre qui imposerait sa domination. Dans ces limbes, quasiment des projections mentales, Olivier Sillig réfléchit aux pulsions primales qui resteraient à une humanité en proie à une catastrophe, dans un monde devenu flottant, humide, aux meurtrières lisières. Les limbes de Bzjeurd ou le flottement dangereux, fascinant, du souci de l’autre.

Les belles éditions Helice Helas ont la bonne idée de rééditer Bzjeurd et d’y adjoindre Kazerm, un roman inédit où les fondations de la catastrophe, de la cité maudite qui domine ces limbes, sont racontées. Âpre survie où triomphe l’individualisme. On interroge alors, surtout dans Kazerm, la posture de l’auteur. L’individualisme serait-il une résignation, la résignation serait-elle de droite ? Comprendre : si l’homme est fondamentalement mauvais, autant ne rien entreprendre, regarder venir les catastrophes avec un sourire narquois, se préparer à l’incertaine survie des plus forts. La Science-Fiction, tout dans son économie de récit, sa projection compliquée dans un autre mode de pensée, souvent se laisse prendre à de tels raccourcis. Olivier Sillig cependant ne paraît pas dupe. Au fond, avec la naïveté de ce qui continue à se vouloir roman populaire, ce qui l’intéresse est la survie d’une once de bonté, une forme d’aveuglement, de sacrifice sanglant pour autrui, pour la survie de l’espèce. On passe alors rapidement sur l’ironie un peu lourde sur l’écologie : notre plastique recyclé, pour la bonne conscience, ne résistera pas à cette poisse (j’aime beaucoup la polysémie qui renvoie cette catastrophe à une absence d’explication), ce résidu pétrolier qui un jour recouvre l’ensemble du monde, les survivants le seront grâce à ces pylônes électriques sans doute combattus. Quel message cela nous apporte-t-il pour aujourd’hui. Mais ne sombrons pas non plus dans l’angélisme : être directeur d’une ONG, fut-elle écologique, est certes un exercice de pouvoir, peut-être plus policé mais exerçant les mêmes mécanismes de domination.

Pas à pas. De cellule en cellule. De loge en loge. Les incohérences qu’ils rencontrent, les absurdités de la route, les stupidités du tracé, le jeu d’enfant têtus et bâtés auquel tous se livrent, ennemis, alliés d’un jour et, enfin, l’adversaire final – même au-delà quand ils seront arrivés – ne les choquent déjà plus. Il y a une apparence de logique qui tient lieu de règle. Il y a donc la Règle. Absurde ? Qu’importe !

Olivier Sillig, surtout dans Bzjeurd parvient à nous noyer dans cette absurdité, dans le désir de règle qui fait soumission. Monde en déshérence, des villages subsistent, posent des drains pour limiter la propagation des limbes. Mais il faut en sortir, faire son apprentissage, se penser dans la figure de l’initiation, la mise en récit de soi comme sujet d’une perpétuelle progression, pour ne pas dire, pour reprendre les structures antiques du récit, de rédemption. Une autre logique préside, elle est cauchemardesque. Bzjeurd, puis Kazerm un peu moins subtilement, nous transmet cette panique, cette attente quasi messianique. Bzjeurd revient dans son village après avoir été découvrir le monde. Il a été massacré. Victimes et bourreaux se confondent, tel est le destin dessiné par la vengeance. Bzjeurd erre, arrive, à moins qu’il ne l’invente, à Kazerm. Bienvenue au royaume d’un absurde ritualisé, révélation sans doute de notre monde moderne et de cette ambition censée nous transformer en entrepreneur de nous-mêmes. Olivier Sillig parvient à repousser le sens. On est mineur, ceux qui survivent deviennent guerriers, pourront perpétuer des massacres, croire se venger. Il faut bien admettre qu’on se laisse prendre. Bon, on interroge quand même un peu la place de la femme dans cet univers violent où elle sert uniquement à assouvir les désirs, à reproduire un mécanisme de domination. Pain, jeux et sexualité, le peuple ne se révoltera pas contre cette servitude volontaire comme disait l’autre. Une certaine gêne, celle sans doute d’avoir à admettre que nous ne valons peut-être pas mieux. Reste seulement des fantômes de bienveillance.


Un grand merci à Helice Helas

Les limbes de Bzjeurd (319 pages, 30 CHF, 24 euros)

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