
Errance mélancolique (nostalgique hélas aussi) dans la pluralité de l’Italie, ses langues et accents, ses cafés et libraires, ses conversations saisies au vol ou avec des amis de longues dates. Avec une plume aussi légère que son apparente désinvolture, entre cinéma et littérature, Samuel Brussel nous livre des instantanées de son Italie. Continent’Italia ou l’éloge de l’instant, de notre présence dans ses pulsations.
Il est des livres, comme celui-ci, dont on ne peut évacuer un certain agacement : cette sorte d’irritation qui contraint à continuer à lire. La nostalgie m’exaspère, son idéalisation du passé me paraît une dépossession, une sorte de résignation douce-amère à l’ordre prétendu du monde. Il n’est que ce que nous en faisons, son passé revient en fonction de nos choix. Sans me faire plus anticléricale que je ne le suis, j’avoue avoir été gêné par la façon dont Samuel Brussel fait de l’Église, voire du catholicisme, un objet d’une dévotion immanquable. À lire Continent’Italia on se surprend à l’interpeller : mais aujourd’hui, c’est quoi l’Italie ? On lui invente quels mythes pour demain. Tentons d’un peu moins mal me faire comprendre : la nostalgie est pour moi une dépossession au sens où elle oublie, ou occulte, l’instant, ne saisit plus la pointe de l’instant. Prenons un exemple : Fellini et le néo-réalisme à l’italienne, incontournables références qui, certes, ont saisi leur époque avec un vrai talent. Mais, maintenant quels créateurs (Wu Ming ?) disent l’Italie contemporaine ? Une pensée alors pour Gospodinov : quand on a plus d’avenir, on s’invente un passé.
Je ne voyais qu’une abondance de vie, une promesse de vie éternelle dans la plénitude de l’instant présent.
Ne nions pourtant pas la belle légèreté, l’inventive liberté, dont témoignent ces pages d’égotisme. Dans ce genre codifié du voyage en Italie, on ne saurait faire l’économie de Stendhal. Samuel Brussel parvient à rendre toute la gratuité de son errance, son incapacité à partir, ses choix aléatoires de destination, ses rencontres de hasards, la poursuite d’inscriptions historiques au détour d’une conversation. Un vrai charme, fragile et coupable. Un peu de mal, par exemple, quand il parle de la grâce ancillaire d’un sourire. Nettement moins quand, comme dans Alphabet triestin, ses déambulations se révèlent livresques, fantomatiques. Une solitude au milieu des ombres, un pays dans ses différents parler. Continent’italia ou l’attention à la langue. Celle d’abord de Samuel Brussel qui nous livre des instantanés volatiles animés par la perte et la disparition. Le voyage, sa légèreté d’une mélancolie rieuse. Une façon de se moquer de lui, du personnage tout à sa disponibilité, à son attention à ce qui passe. En rendre la saveur et le poids est une belle gageure. Samuel Brussel sait se tenir aux frontières, aux endroits des identités mouvantes, aux villes un peu oubliées. Idéal guide d’un voyage immobile, rêveur.
Merci aux éditions Stock pour l’envoi de ce livre.
Continent’Italia (267 pages, 19 euros)