
Retour dans le labyrinthe intertextuel du Minot Tiers, jeu de dédoublement, poursuite d’un auteur qui s’invente des alter-ego, qui réfléchit sur le roman absolu qui, hélas aussi, se rêve en contempteur de l’époque. L’oncle de Vanessa s’amuse à égarer le lecteur dans une jolie, entendue parfois aussi, sur l’acte créateur, sur la démiurgie d’un auteur.
On retrouve ici, peut-être même accentués, les défauts du premier volume, Des miroirs et des alouettes, de cette trilogie romanesque. Au fond, je crois ne pas supporter la prétendue détestation du présent, surtout quand elle passe dans un retrait hautain qui ne tarde pas à virer dans la célébration de l’avant forcément meilleur, des grands auteurs par essence disparus. Bien sûr, le Minot Tiers, dans un jeu de pseudonymat, n’est jamais entièrement ce narrateur détestable, misogyne et arrogant. Notons que je ne suis pas sûr que l’ultime retournement de situation (l’auteur n’est jamais celui qu’on croit, les opinions tranchées ne sont que celles prêtées à un personnage) fonctionne entièrement. Précisons aussi que ce narrateur suscite ce léger agacement qui pousse à continuer, intrigué, la lecture. Précisons un petit peu : ce n’est pas la détestation de l’époque qui gêne, (qui serait assez fou pour la croire satisfaisante, voire, déraison, acceptable ?), mais bien le degré de folie et d’emportement qui porte cette détestation. N’est pas Céline ou Bloy qui veut. L’imprécation demande une noirceur, un pessimisme, une haine de soi, bien plus radicales que celles dont font preuves les, disons-le ainsi, auteurs de ce roman. Des blagues un rien gentillettes sur les écolos, une critique trop contemporaine de ce qui fait le quotidien de notre moment historique. Pourquoi pas, on aurait aimé que ça pique un peu plus, peut-être que ce soit plus proche de l’auteur. Comme si on ne critiquait bien, en profondeur, ce que l’on a un jour aimé.
Le Minot Tiers (décidément je n’arrive pas à me faire à la sonorité de ce pseudonyme) retrouve alors sa dualité comme moyen de circulation dans les différents niveaux de lecture de tout texte. Comme dans Des miroirs et des alouettes, le chat est métaleptique, extra-diégétique, immortel d’ailleurs comme dans le très beau roman de Jérôme Lafargue. Bien sûr, un roman est constitué de tous les textes qui le précèdent, de toutes les lectures, les rêves, cet insaisissable air du temps qui façonne, déforme celui qui écrit. Hommage alors sensible à Gracq, Proust et Vernes. Certes, on regrette que pour dire l’époque l’auteur se contente de platitudes (pas toujours fausses, là n’est pas la question) sur le vide des rentrées littéraires, les conneries à la télé, l’étrange satisfaction à critiquer de haut une connerie crasse à laquelle on participe. Dommage, à notre sens que Le Minot Tiers ne soit pas allé voir ce qui se fait ailleurs, de l’autre côté des Pyrénées, par exemple en Catalogne chez Vila-Matas ou Miguel de Palol. On comprend pourtant l’attention de l’auteur, de tous ces masques : caricaturer la recherche du roman absolu mais en cédant alors à ce grand défaut. On le retrouvait dans Une fois (et peut-être une autre fois) : pourquoi la caricature n’est-elle pas belle, pourquoi le roman absolu ne s’approche que par commentaire, négation, ne donne aucun exemple du style, de l’aisance de la construction des cathédrales proustiennes, de cette capacité à s’emparer de la science contemporaine pour en rêver les demains et les ailleurs ? Certes, nous aurons dans L’oncle de Vanessa un réseau de métaphores filés assez amusantes, scatologiques parfois mais tout de même susceptibles de susciter un déplacement de sens.
Comme je le disais, sans doute pour ne pas me faire moi-même prendre à l’aigreur, le plus surprenant est que le roman fonctionne quand même. Sans doute parce que le lecteur finit par y trouver un essai assez intéressant sur l’identification romanesque. Le roman ou nos vies rêvées, l’existence dans sa distanciation ironique. Sans doute aussi dans une sorte d’unité, dans une capacité à s’inventer des doublures. On ne dévoile pas grand-chose en disant que tous les personnages ne sont jamais qu’un état de conscience de celui qui les écrit. On aime encore tous les dédoublements de l’auteur.
Merci à l’auteur pour l’envoi de son livre.
L’oncle de Vanessa, (206 pages, 13 euros)