
Casuistique littéraire légère d’où se dégage une sage et souriante éthique. Mustapha Fahmi, à partir de Shakespeare surtout, livre de belles, et simples, réflexions sur l’amour, l’amitié, les rôles que l’on endosse comme identité. La promesse de Juliette : ou une philosophie pratique, heureuse.
Amusant comment les lectures dénotent une évolution : quelques années auparavant, La promesse de Juliette aurait été un livre dont je me serais moqué. Trop optimiste, réduisant un peu trop – en apparence seulement – la philosophie à une pensée pratique, dépolitisée. Avec un peu plus de recul, moins de provocations aussi, une part de moi commence à admettre la nécessité de l’équilibre, la mesure comme forme de sagesse. Néanmoins, assez piètre lecteur de philosophie, continuer à se demander si l’amour du savoir ne peut s’exprimer dans l’excès, l’au-delà de la sagesse, l’instable croyance dans ce qui serait malgré tout une conscience sinon personnelle, du moins en quête (par un examen critique de nos déterminants sociaux) de ce qui pourrait être sa forme d’expression.
Soyons pourtant le plus sincère possible. Difficile de cacher aussi une certaine admiration pour la maîtrise didactique qu’il convient d’avoir pour parvenir à une intelligente vulgarisation. Mustapha Fahmi s’empare de la forme brève pour, sous des allures de contes, nous aider à réfléchir. On peut penser que le grand Javier Marias ne procède pas autrement : une scène de Shakespeare suffit à mettre à nu les mécanismes humains. Amour du savoir donc, en premier lieu comme une forme quasi d’idéalisme : « Dans une société libre et humaine, on ne travaille pas : on pratique ce qui nous rend heureux. » Si seulement. Pourtant, la philosophie ne saurait se résumer à décrire ce qui est, à accepter cet état de fait. La promesse de Juliette propose une autre manière d’être au monde. De jolies parties, par exemples sur les humeurs, leurs contaminations, comment il convient de ne pas se laisser gagner par le cynisme. Il reste décisif d’affirmer malgré tout ceci : le monde reste, peut-être, une promesse de bonheur, « sans la littérature, il n’y a probablement ni amour ni baiser. » Continuer à croire pouvoir penser une société basée sur l’amitié et la confiance. Une de celles où l’on saurait prendre en compte les fragilités d’autrui, reconnaître les gouffres de la liberté, ne pas méconnaître les rôles que l’on accepte d’y tenir. « Être authentique, en ce sens-là, c’est être fidèle au rôle que l’on choisit de jouer dans le théâtre de la vie. » Toute la question est, me semble-t-il, dans ce choix. Nous n’évoluons pas dans une pièce de Shakespeare, notre éthique me paraît toujours plus contingente. La promesse de Juliette est un livre qui continue à nous interroger, à me demander pourquoi la philosophie chez moi se réduit souvent à trouver des objections, à douter de ses promesses. Il faut aussi reconnaître ici une très belle lecture du dramaturge anglais, de tout ce qu’il continue à nous apprendre. On aime l’idée que ce livre soit, aussi, un livre de convalescence, l’invention d’un grand espoir d’un retour au monde.
Un grand merci à La Peuplade pour l’envoi de cet essai.
La promesse de Juliette (192 pages, 18 euros)