L’autoroute de Sable, numéro 2 : Trois grenouilles

Drôle de recueil de nouvelles, parfois absurdes, souvent en décalage avec le thème imposé des trois grenouilles. On retrouve dans ce deuxième numéro de l’Autoroute de Sable des écrivains qu’on aime : Gonçalo M. Tavares, Olivier Hervé, Gregory Le Floch, Antoine Bréa, Guillaume Contré. On y goûte surtout une manière de déjouer la contrainte, de pousser le lecteur à s’interroger sur la cohérence de tout recueil de nouvelles.

On répète partout que la nouvelle ne se vend pas, que le genre n’intéresse ni auteurs ni lecteurs. On assiste à une discrète contestation de ce diktat. C’est une très belle idée d’avoir l’audace de publier une revue de nouvelles, de laisser la chance de découvrir des auteurs, d’en retrouver des plus confirmés. D’interroger surtout ainsi le genre de la nouvelle, sa capacité à jouer de ses contraintes, mais aussi à se plier à son exigence d’humour, à son invention d’une chute drôle, décalé ou absurde. La pluralité pourtant des auteurs contraint à s’interroger sur la cohérence de notre lecture. Sans doute un peu à tort, en moi se développe une manière de prévention contre l’usage systématique de l’humour en littérature, la légèreté comme passage obligé. Je la vois comme une forme d’uniformisation de la parole, partant des sentiments et leur dépassement. Heureusement, les nouvelles ici s’amusent surtout de la présence/absence dont ils traitent le thème imposé. La grenouille devient alors un objet de fiction, une complexe désignation langagière d’où dérive la narration.

Pour reprendre le titre de la nouvelle de Gonçalo M. Tavares, ce qui m’a intéressé dans ce recueil est la façon dont il interroge, s’amuse donc, l’importance du langage. L’auteur du Quartier (dans une très belle traduction, comme toujours, de Dominique Nédellec et avec l’excellente idée d’en proposer la version en langue originale), reprend une de ses obsessions : quelle réalité met en jeu le langage, comment peut-on lui imposer d’autres formes. La littérature comme essence du silence… Il en découle alors une sorte de flottement, une identification en suspension. Ces trois grenouilles seraient-elles ce dont on parle ou ce qui parle. Rien qu’une inscription, le nom d’un bistro dans la nouvelle d’Antoine Brea. L’auteur de l’excellent L’instruction invite à se demander si dans nos époques confinées, le langage n’est pas seulement de dénonciation, procès à charge, accusation, lettre anonyme dont jamais on ne déterminera l’auteur. L’ami Oliver Hervé (pourquoi n’avez-vous pas encore acheté son Pédalée ?) reprend aussi cette tambouille entre objet et sujet, thème et narrateur. De la cuisine interne, en somme où les grenouilles sont une contagion (une sorte de première malédiction qui, bien sûr, ne se reproduit pas comme dans « Dans le parc » de Luc Dagonet), une sorte de récit primitif, un conte de fées. Alors, la confusion entre rêve et réalité, prose et poésie (prosaïque partant et sublime), le conte de fée et la recette contemporaine. Les grenouilles incarnent, dans leur chant, la contradictoire beauté (comme dans le très beau, au bord de l’essai et de l’hommage « Le chant des grenouilles » d’Ezequiel Alemian) de notre monde. Le visqueux aussi de « L’essai sur l’amour » de Gregory Le Floch dont j’avais tant aimé Dans la forêt du hameau de Hardt. Bien sûr, toutes ces nouvelles interrogent sur ce qu’elles donneraient une fois réunies en recueil. Terminons sur un auteur que, après avoir découvert ses traductions, nous découvrons avec un immense intérêt. Guillaume Contré signe avec « La réunion » une passionnante spéculation sur le scandale du langage son caractère reproductible, sa traduction et – comme l’auteur est aussi compositeur – sa musicalité. Les grenouilles sont comme nous, elles se réunissent, parlent pour mesurer notre capacité d’écoute, interroger l’impossible unique de toute parole. Une vraie ironie dans l’aspect renseigné, dans cette façon de refermer la nouvelle sur sa situation initiale. On espère avoir des nouvelles de tous ces auteurs et autrices.


Un grand merci à L’Autoroute de Sable pour l’envoi de cette belle revue.

L’autoroute de Sable (180 pages, 16 euros)

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