
Hommage très noir aux anonymes, à ceux que l’Histoire oublie pour mieux les faire souffrir, les sacrifier à bas bruit. Dans une langue langoureuse, rapide et rythmée, à l’écoute de l’époque qu’elle restitue, Hugues Pagan plonge le lecteur dans la vie des flics de 1973. Le carré des indigents, roman de la noirceur social.
Il faut bien l’avouer, je découvre par Le carré des indignés Hugues Pagan. Nom pourtant bien connu de tous les amateurs de polars. Comme toute vraie découverte, cette rencontre passe par la langue. Hugues Pagan c’est d’abord un style. Langue d’une évidente simplicité visuelle, rythmée pour exprimer sa sèche mélancolie, sa belle capacité à aller à l’essentiel, à se fondre aussi dans un modèle. Dans sa préface Michel Embarcek compare à raison la prose de Pagan à celle d’Ed Mc Bain. Un des aspects les plus intéressant du Carré des indigents est de parvenir à devenir un roman collectif : un Bunker, une équipe, l’enquête au jour le jour, une ville sans nom, le passé amoureux, guerrier et criminel qui ressurgit. Échos multiples bien sûr alors à ce que le polar fait de meilleur : une certaine extériorité a-psychologique, les gestes de Schneider son héros, comme étranger à lui-même. 1973, toute une époque : l’ombre de la guerre d’Algérie, la fallacieuse promesse d’une normalisation libérale, giscardienne, beaucoup de désinvolture, souffrances inexprimées, violences incontrôlées. La vie à hauteur d’homme. Un flic est un témoin compatissant, impuissant. Scheineder, froid regarde avec une compassion sans issue : trop de mots ne cesse-t-il d’affirmer. Ancien flic, Pagan n’occulte pourtant jamais les violences policières. Une partie de l’intrigue repose sur celles des agents en uniformes, la façon dont ils sont couverts par leur syndicat, les bavures sans sanctions. Toute ressemblance…
Betty, un peu par malchance, se fait assassiner. Elle clôt une généalogie de malchanceux, de victimes des deux guerres. Pagan signe un portrait attendri, incroyablement juste, du père de la victime. Un cheminot qui sort tout juste la tête de l’eau. Le polar ou l’occasion de retrouver la radioscopie romanesques de différents milieux sociaux, de parler de ceux qui continuent à être invisibles. La vie, simplement, quotidienne quand elle est prise dans l’enquête. Une aisance à se couler dans le vocabulaire, les mentalités. Les criminels sont des pauvres types, sans les excuser on comprend leur traumatisme. Fraternité des laisser pour compte. Sur un air de blues langoureux, derrière une violence à peine canalisée, Scheineder tente de trouver des réponses. Un joli dénouement sans pardon.
Un grand merci à Rivages/Noir pour l’envoi de ce roman.
Le carré des indigents (444 pages, 20 euros 50)
Hugues Pagan est effectivement une des plus belles plumes du roman noir français, et pour une découverte en ce qui te concerne, tu en parles admirablement bien. Je compte me procurer ce roman, la lecture de ta chronique me pousse à courir au libraire ! 🙂
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