
Un lumineux itinéraire, par delà pauvreté et pertes, l’invention d’une liberté, d’une spiritualité, d’un partage entre les hommes, les animaux. Par des ellipses, des insistances sur les moments clés, Dermot Bolger parvient à transmuer cette histoire vraie en roman, à transmettre la fragile beauté des commencements, l’oppression sociale puis pas la communion de tous ceux qui, maladroitement parfois, tentent de s’en émanciper. Une arche de lumière décrit aussi, en n’en retrouvant partout dans le monde les hantises, l’âpre et tendre humanité irlandaise.
Précisons d’emblée que Une arche lumineuse fait suite àToute la famille sur la jetée du Paradis sans qu’il ne soit vraiment besoin de lire ce roman de 2008 pour comprendre cette suite. Une part de moi, pour dater ou conventionnelle que cela puisse paraître aime les sagas familliales, que l’on pense par exemple aux Cazalet Chronicles, à leur manière de s’inscrire, dans différents personnages dans une appréhension différenciée de notre vécu collectif. Même si cela reste surtout comme une interrogation, une hantise qui anime Eva, l’exemplaire héroïne de ce roman, Dermot Bolger trouve ici une belle manière de restituer l’engagement collectif dans tous ses paradoxes, dans sa généreuse illusion aussi. Des petits détours face aux faits avérés, toujours tortueux dans un totalitarisme pour rendre compte d’un des rares Irlandais tués dans la guerre civile espagnole. Ce sera d’ailleurs un des thèmes de ce roman qui parvient, sans violon, à être émouvant : comment l’on compose avec son héritage, comment il hante même quand on s’en prétend débarrassé. Art, le frère d’Eva, militant communiste rejette l’héritage paternel, le maintien ainsi dans une sorte de statu quo. Il révèle ainsi une des aspirations de l’héroïne, une de celles qu’il convient de préserver : être ce que l’on donne, tente, commence, plutôt que ce que l’on a, que les victoires factices affichées agressivement. Toute une fratrie qui aspire au dénuement, au dépassement de soi, à quel moment en a-t-on oublié la beauté ? La réussite comme nouvel ordre moral ? Mais, Dermot Bolger ne joue pas au naïf, montre bien les errances de ses personnages, leurs identifications factices à ce qu’ils ne parviennent pas à être. Et si Art n’était qu’un trompe l’œil, le lecteur découvrira avec grand plaisir l’aspect roman d’espionage, assez proche de l’univers de ceux de Javier Marias. Notons quand même cette disparition qui anime Eva, celle de son frère, Brendan : qu’importe qu’il ait été dupe, tué par l’Histoire, trinquer à sa mémoire, émue, suffit presque à justifier sa mémoire.
La traversée du siècle d’Eva sera celle d’une suite d’épreuves, non tant de douleurs que de capacités à ouvrir, ouvrir seulement sans jamais les conclure, un nouveau chapitre de sa vie. Elle quitte son marie, sans pouvoir divorcer et ouvre une école d’art pour que des enfants, pas tous riches, puissent exprimer autre chose que ce qu’on leur apprend à reproduire, pour former des caractères. Une lutte bec et ongles pour son bonheur, pour malgré tout assurer le soutien à ses deux enfants. L’homosexualité en Irlande et en Angleterre ; le colonialisme au Kenya. Tout ceci ne finira pas très bien, tout ceci montrera aussi comment Eva reçoit les influences du moment. Elle se livre alors à l’invention d’une sorte de spiritualité, pétale dans le vent, souvenir d’une prairie pleine de coquelicots. Une vie à la marge, peut-être, heureuse, accueillante, dans un caravane entre ses chats et chiens à recevoir des jeunes paumés, des poètes et des routards, à vivre de précaires boulots, à continuer à chercher, à tenter de ne pas se laisser rattraper par la tristesse, le deuil. C’est ce que parvient à faire Une arche de lumière : le miracle de la vie dans toutes ses aspérités.
Un grand merci aux éditions Joelle Losfeld.
Une arche de lumière (trad Marie Hélène Dumas, 459 pages, 23 euros)