
L’instant de la fin, le moment de la chute, du dénouement à l’abri de tout secours. Dans ces douze nouvelles souvent cauchemardesques, souvent dans un univers à l’écart, fantastiques de leur effrayant onirisme, Raymond Penblanc saisit nos apparitions, nos présences inquiètes juste avant la disparition. L’éternel figurant ou la farce tragique de l’existence.
Après Les trois jours du chat, Une ronde de nuit et Somerland, nous découvrons avec grand plaisir la facette nouvelle de l’œuvre de Raymond Penblanc. Surtout dans un genre dont j’aime parler tant j’aime à réfléchir ce que peut faire la nouvelle. Peut-être pourrait-on le dire ainsi : la nouvelle est l’art de l’effleurement de la déception. Peut-être, c’est un manque dont j’ai d’ailleurs occulté la présence dans Un vide, en Soi , ne lit que pour se confronter à ce qui ne nous convainc pas, pour parvenir ainsi à situer l’endroit où nos (ce que l’on tient pour tel du moins) n’acquiescent plus totalement à celles de l’auteur. Nécessairement, dans un recueil de nouvelles une ou deux un peu moins vous plaise, mais crée alors une cohérence qui ne sera pas monolithique, retendent le projet par une plus grande pluralité. Il est cependant une grande cohérence dans l’univers romanesque de Raymond Penblanc : peur, violence, nuit. Au-delà de tout ceci, le souci de l’écriture, son rythme, sa sorte de précision seule apte à restituer une atmosphère réellement cauchemardesque. Notons que la sécheresse apportée par la grande brièveté des récits accentue la force visuelle de ces incarnations d’apparitions de ténèbres.
Revenons au texte, à la texture même de ces nouvelles, à leur saisine de ce qui est l’essence d’une nouvelle : sa fin. Une sorte de hantise. J’aime l’idée qu’au fond elle advienne presque dans une manière d’inconscient du texte. Un recueuil de nouvelles offre toujours la construction d’une cohérence a posteriori, le collage de récits faits ici dans différentes revues. L’auteur décide de les regrouper en, disons, chapitre. Le premier insiste alors sur une atmosphère post-apocalyptique, sa capacité à révéler la tension entre les hommes, où souvent (exemplairement dans Somerland) se déploie l’univers de Penblanc. Dans un pays en guerre, des silhouettes, toujours dotées de prénoms difficiles à situer, tentent de trouver un ultime refuge. Ce serait d’ailleurs un des points aveugles de L’éternel figurant, l’effondrement (la chute pour employer le vocabulaire de la nouvelle) de l’illusion d’un ultime secours. La littérature serait-elle condamnée à s’interroger, à mettre en scène ses apories, sur notre désir de rédemption. Nous touchons alors sur ce qui retient mon adhésion passionnée à ce recueil des plus intéressants. J’aime, assez idiotement, ressentir un sentiment de camaraderie profond avec l’auteur, un partage de la générosité dont il fait preuve. L’âpreté sans issu des récits de Raymond Penblanc a parfois retenu cette impression, stupide et naïve, de partage. Ce qui n’enlève rien à la valeur de ce livre entendons-nous. Forçons-nous ainsi à creuser l’analyse. Sans faire notre malin, on pourrait dire : le désir d’apparition est commandé par celui de disparition à moins que ce ne soit, comme dans toute proposition trop facile, l’inverse. Mettre en scène, comme dans toutes ces nouvelles, la fin c’est s’amuser aussi de la pulsion suicidaire (voir la nouvelle « Sepukku ») ou du désir de destruction présent quand on cède à nos prurit voyeuriste (voir la belle nouvelle « Chemin de croix »). Il faut alors souligner à quel point la mise en place de ces nouvelles en travaille le sens. Une sorte d’interrogation confiée sur le rôle de chacun des personnages sera ainsi portée par le titre du recueil : l’éternel figurant. Dans cette nouvel, au centre du livre bien sûr, on voit comment un personnage multiplie les brèves apparitions, tente de s’imposer à une présence un peu plus longue (ne serait-ce pas l’autre nom de notre désir de salut ?) avant de finir en un terminal précipice. Image de tous les récits collectés ici sans doute. Fort logiquement l’auteur place à la fin de son livre une nouvelle sur un lecteur qui disparaît peu à peu dans sa lecture comme si le recueil lui-même ne pouvait s’achever que dans sa destruction.
Un grand merci au Réalgar pour l’envoi de ce recueuil
L’éternel Figurant (112 pages, 13 euros)