
Huis-clos dans l’enfer montagnard, dans celui aussi de la reconstruction de soi après la violence aveugle, conjugale ou collective comme lors d’un attentat. Hanté par ses souvenirs d’enfance, amnésique autrement, se retire dans la Vallée, un lieu de fantasmes, de représentations stéréotypées également. Le vestibule des lâches se révèle un premier polar qui joue sur les codes (la redécouverte de soi, l’éternel trio amoureux, le nature writing…) mais auquel, notamment par son inscription contemporaine, Manfred Kahn donne un rien de singularité.
Au début de ce polar plutôt nerveux, rythmé par les reprises de mémoire de son héros et donc autant d’arrangeant retour en arrière, on a été un peu gêné par l’effacement de l’inscription spatiale de ce roman. Un village sans nom dans une vallée sans toponymie. Un lieu de reconstruction fantasmatique, vous dit-on, l’endroit d’où revient le rêve, une des seules images conservées par Vic. Il faut aussi admettre que la seule manière de situer dans l’espace intervient alors d’une manière quasi exagérée : la scène ultime se déroulera aux Abymes. Le Y pour bien préciser que nous sommes invités à nous égarer dans les vertiges de l’intertextualité. Nous y reviendrons : un individu n’est peut-être que cela, une propension malheureuse à revenir pour croire ainsi se retrouver. Le personnage de polar, c’est surtout le brave type, plein d’omission, qui, comme un grand, se fout tout seul dans la merde. Une histoire entendue, on n’en sort pas. On s’y laisse même prendre.
Vic retrouve son chien tué. Message clair : on ne veux pas de toi, étranger. Faut dire qu’entretenir une relation avec la femme du pire loustic de la Vallée… Situation attendue pour ne pas dire stéréotypée. Le diable dans le détail, le roman dans les nuances. Vic et Josefa entretiennent une relation un rien étrange. Un peu chaste, un peu comme on partage le mystère d’un personnage, un peu comme deux être cabossés s’effleurent sans savoir s’y apaiser. Manfred Kahn emprunte alors à une tradition plus anglophone. Le polar ou l’impossible réparation des traumatismes. Nous avons la une illustration des conséquences des attentats dont Vic est un survivant. Toujours avec un rien d’excès, sa femme l’est aussi. Une forme d’apaisement et, toujours dans les codes du polar, de regard sur un monde qui se délite. La Vallée est en changement, écroulement de son mode de vie traditionnelle, recherche d’une nouvelle porte de sortie. On fait quoi quand la violence surgit dans nos vies bien rangées : on tente de s’y soustraire, on l’a reproduit presque malgré nous ? C’est à cette question que tente de répondre Le vestibule des lâches, d’une manière plutôt nuancée. Sans doute par des beaux emprunts à Dante et à son Enfer.
Merci aux éditions Rivages/Noir pour l’envoi de ce roman.
Le vestibule des lâches (296 pages, 20 euros)