
Récit implacable d’abus sexuels, infligés par des pères jésuite sur Jean Marc Turine, Révérents Pères tout de colère et de soutien revient sur ses épisodes traumatiques, sur l’apathie qu’ils font naître, la culpabilité pour une passivité subie, les silences qui s’ensuivent. Dans une jolie langue, l’auteur fait renaître ses scènes, l’ordre bourgeois qui les permettait et le soutien de Jean Marc Turine pour tous ceux qui s’y soustraient joliment nommés irréparés.
On ne saurait juger un livre sur son sujet. Il convient toujours d’interroger notre trop-plein, sentiment par essence trompeur. Sans doute faut-il continuer à dire la pédophilie dont s’est rendu coupable l’Église catholique. En creuser chaque parcours, continuer à la refuser. Toute la grande force de la parole de Jean Marc Turine vient de ce refus, d’une très longue incapacité à dire. Une sorte de silence, la difficulté à aimer qui s’en suit. L’auteur explique comment il revient sur des pages écrites d’un jet, les scènes qui reviennent, la culpabilité de s’être laissé prendre. L’incapacité aussi à totalement se laisser prendre dans une parole collective. Lorsque qu’enfin l’infâme (pour causer comme Voltaire) prétend accepter d’endosser ses responsabilités, Jean Marc Turine ne parvient pas à aller jusqu’au bout, à donner des noms, à faire revivre le désir de revanche, voire, qui sait de réparation. Terrible sentiment d’irrémédiable d’un vieil homme qui prend enfin la parole pour, magnifique sentence : « signifier à beaucoup d’autres jeunes ou vieux, d’autres abîmés ou irréparés, d’autres veilleurs de vie : nous nous connaissons. » Révérends Pères ou la valeur de la solidarité par-delà, à cause ou grâce aux traumatismes individuels. Une tension vers le collectif, toujours. L’enfance sauvage, les instants où l’on parvient à échapper aux déterminismes bourgeois, de ses échappées qui, sans doute, permettent d’en dire tout le conformisme.
Les formes absurdes de toute forme d’autorité bourgeoise et chrétienne pour perpétuer l’ordre de l’ainsi. Le pourquoi étant banni.
Traumatisme d’un déménagement, l’éducation de la rue laisse place à celle d’un collège rupin. Mauvais élève, belle gueule. On le retient, perversité de l’approche pour son bien. Demeure alors le pourquoi. Geste incompréhensible comme l’oubli dont l’auteur si longtemps l’a recouvert. Les toilettes à la sortie où il pleure. Sentiment d’être prisonnier de la répétition, sensibilité à jamais déformée. Plus tard reste l’ambiguïté de l’abus quand il est commis par une personne avec autorité, quand il parvient à arracher une forme de participation. Jean Marc Turine éclaire la détestation de soi, le déni qui l’accompagne. Soulignons quelques éléments freudiens qui semblent un rien plaqués sans pour autant enlever de la force à cette dénonciation.
Un grand merci aux éditions Esperluète
Révérends Pères (123 pages, 16 euros)