
Cartographie d’une disparition et des façons différentes dont on compose avec l’absence et le deuil. Aux confins de la magie, au seuil sombre de tout enchantement, dans les rets de l’enfance, dans la difficulté à se construire, à trouver sa place dans le roman familial, sous les auspices du conte de fée, Zizi Cabane explore les structures de la famille, le lien au paysage, la définition de soi dans les rêves, les jeux et autres adultes obsessions. Entremêlant — pour donner voix aux rives de l’absence, parole aussi à cette envahissante et curieuse rivière qui envahit tout — poèmes et récit en prose — pour donner voix à la construction d’une enfance, à l’éloignement de la perte, à la préservation fragile des visions et de leurs enchantements —, Bérengère Cournut poursuit son exploration, fluviale et cartographique, du territoire onirique, à l’écart d’un ordre du monde dit réaliste, qui constitue la moins mauvaise part de nous-mêmes.
On l’a suffisamment dit : ici on aime poursuivre le vide entre deux œuvres, la continuation d’une parole par ce que l’on peut croire qui se poursuit d’un roman à l’autre d’un même auteur, voire des motifs et des thèmes qui, sans en tirer argument, se retrouvent entre deux romanciers contemporains. Bérengère Cournut tisse la toile de son univers à la magie affirmée, doucereuse, que l’on pourrait au premier regard trouvé ostensiblement poétique. On tente alors de capturer des revenances, précisément parce que l’on ne sait si elles appartiennent à l’auteur, à ce qu’on veut bien lire d’elle ou de lui ou à ce qui ne nous appartient pas, reviendrait alors comme la trouble possibilité d’un inconscient collectif. Tentons d’être moins abstrait, plus précis. On reconnaît dans Zizi Cabane cet attrait pour le grand Nord telle que Bérengère Cournut le chantait, à la lettre, dans De pierre et d’os. Moins superficiellement, entre ces deux romans — on serait presque tenté de dire : contes — une préservation de soi dans l’écoute de notre voix intérieure, du contact avec les failles et interstices d’un monde magique, inquiet, qu’il nous faut apprendre à entendre, à laisser résonner. Dans Zizi Cabane cela passe dans une curieuse oscillation entre la possibilité d’une explication réaliste et la chance contradictoire qu’il s’agisse de la voix de nos fantômes, le flux fluvial d’une absence. Bérengère Cournut veut protéger un monde d’enchantement, souvent une cellule familiale qui tente de s’inventer, comme dans Élise sur les chemins, à l’écart, en dehors de notre monde de vie. Au début, avouons-le, j’ai un peu craint une de ses apologies de la famille par ceux qui prétendent la réinventer, loin des villes, en s’enfermant dans ce cocon, dans les principes de vie alternative qui se prétendrait plus morale. Fort heureusement, on comprend que c’est précisément cette possibilité qu’interroge l’autrice. Le véritable écart sera toujours celui du langage, la domination du pouvoir de dénomination. Le roman familial nous accroche à une identité : entre mémoire et émancipation, c’est cette construction de soi que raconte Zizi Cabane. L’éponyme héroïne ainsi s’appelle pour une distinction de genre. Une fille naît dans une fratrie de deux garçons. Leurs parents, après observation de leur comportement, décide de leur donner un autre nom. Ce sera Béguin, Chiffon et Zizi Cabane. La liberté de l’enfance dans un récit qui, d’emblée, se veut et se sait une construction spatiale, un grenier aménagé en trois chambres.
La perfection, peut-être, apparaît seulement quand on en est chassé. La mère disparaît. Non tant sans raison que sans explication. Le paradis, qui sait, finit par lasser. Suicide, somnambulisme, accident ? Qu’importe. On aura surtout un dérèglement qui, insidieusement, rendra le paysage inhabitable. C’est sans doute une des constantes de l’oeuvre de Bérengère Cournut : sa méditation sur notre capacité à habiter le paysage, à s’en sentir non pas exclut, mais à devoir l’inventer, lui donner sans cesse de nouvelles représentations, s’en éloigner donc sans doute aussi. Un peu comme dans la belle exploration de l’aliénation de La mesure de la joie en centimètres d’Arno Calleja, une source sort de son lit, fait remonter les obsessions, invente une présence. On pourrait, dans un rapprochement qui ne tient pas tout à fait, penser alors à La rivière draguée du même auteur. Chez Bérengère Cournut on retrouve ce fond de pragmatisme qui invite à la magie. Un impact physique, le grenier n’est plus habitable, la maison non plus. Le roman d’initiation contient toujours une expulsion. Le plus réussi est l’interstice d’interprétation que laisse l’autrice : on peut penser que cette rivière est l’expression de la présence post-mortem maternel, un désir de sauvegarde qui n’est pas sans danger. Dans Élise sur les chemins on entendait déjà les maléfices des fleuves, notre incapacité à les canaliser, nos vains efforts pour seulement les détourner. Au seuil de la folie, le père tente d’amadouer cette présence, de retenir ce qui n’est peut-être qu’un phénomène naturel. Émancipation, apprentissage, surmonter ses peurs, composer avec l’identité qu’elles nous façonnent. Cartographie surtout d’une réalité qui ne saurait suffire. La continuation d’une obsession passerait-elle par les références que l’on devine derrière un nom. Chiffon est encouragée à continuer sa cartographie hasardeuse par sa maîtresse qui s’appelle Madame Élise. Suivons encore les chemins d’Elysée Reclus. Chiffon devient géographe, s’intéresse à la géologie mais écoute toujours la sensation de froid, l’appréhension fantômale, de sa sœur. Les strates géologiques expliquent peut-être la panique de Zizi Cabane, mais jamais entièrement. Le paysage peut aussi être l’enfermement dans un imaginaire qui ne nous appartient pas, nous limite. Une terrible atrophie après une nécessaire amputation. Ce motif métaphorique pourrait passer pour un peu poussif. On n’insiste pas, il reste le souvenir des rêves et surtout le désir que l’on n’en a, le devenir qu’il dessine.
Un grand merci au Tripode pour l’envoi de ce roman.
Zizi Cabane (240 pages, 20 euros)
belle critique poétique et qui est portée par la très belle couverture choisie par l’auteur et l’éditeur
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