L’inamour Bénédicte Heim

La violence de l’accès au langage, de la compréhension du monde par un idiot magnifique, plus lucide que ceux qui lui en infligent souffrance et soumission. Dans une langue hachée comme les pensées en formations qu’elle restitue, comme la douloureuse préservation de la beauté qu’elle invente, L’inamour restitue le terrible naufrage d’une famille trop attaché à son prétendu prestige, à la domination culturelle qui en serait le vecteur premier. Dans une langue magnifiquement idiote, dans un souffle mais aussi dans le malheur d’être réduit à celui qui ne saurait parler, Bénédicte Heim donne à entendre non le handicap mental, mais l’exactitude de la perception, les différentes traductions de la folie domestique.

Nous sommes heureux de nous replonger dans un livre de Bénédicte Heim.Tu n’es plus ce bolide qui fonce dans la nuit, nous avait intrigué, souvent captivé et, parfois, il faut bien l’admettre, un peu laisser de côté par la sophistication de sa langue, ses variations et surtout sa capacité à en dire la saine colère. On peut cependant tirer certaines obsédantes continuités entre ces deux livres. On se gardera bien d’en tirer argument, voire d’en faire des justifications psychologiques, pis autobiographique. Pourtant, Tu n’es plus ce bolide qui fonce dans la nuit empruntait lui aussi la figure du père dont la domination serait essentiellement culturelle et langagière. Jamais inutile, sans doute, de souligner que la domination masculine passe aussi par le surplomb du grand ordinateur du monde, l’excessive valorisation d’un savoir scolaire dont, bien sûr, le père serait le principal détenteur. L’autre nom de l’absence d’amour, de l’incapacité à comprendre la différence. Le père, le seul qui est sans nom avant de se réduire à l’appellation de monstre impose sa langue, loin de celle de l’enfance. Il croit, l’inacceptable idiot de cette histoire, en son ordre, voire à sa défense contre la barbarie. On peut alors penser que ce qui intéresse Bénédicte Heim ce sont toutes les ambivalences et les pouvoirs de la langue. Celle du père étend son empire. Elle aussi croit pouvoir préserver sa violence primordiale, son pouvoir de repousser tout ce qui dérange. Le père, hanté par l’histoire et sa mise en mots, nomme son fils Constantin. Celui-ci ne répondra à aucune de ses attentes. Obstinément, maladivement, il sera un enfant de la lune. L’autrice se garde de mettre des mots sur sa pathologie ; elle en cerne habilement le ressenti. Exposé au soleil, à ce dehors au surplus d’influx, Constantin à des crises. On les cache, on l’enferme. Sans école, il pousse dans cette claustration, dans ce monologue dont si bien Bénédicte Heim parvient à dire les ressentis pluriels, la sommes des incompréhensions, les lucidités des questions qui continuent alors à se poser. La si belle absence de ponctuation pour que les mots se heurtent.

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Simplement parce que s’intéresser au langage revient à fixer les moments où il devient autre chose. Sans avoir à le préciser, L’inamour évoque ce basculement de la fin de l’enfance, celui où dire permettrait de saisir la beauté, la souffrance aussi. Comme pour faire brouillage, retourné ses armes contre celui qui prétend les utiliser, Constantin se met à apprendre du vocabulaire, à l’opposer aux pénibles conférences du père qui, inapte, prétend éduquer son fils à la haute culture, la grande musique, les vies dites exemplaires des empereurs. Le gamin, pendant ce temps, s’amourache d’une si belle étrangère. L’incompréhension, suggère alors Bénédicte Heim, offre un dérivatif, première étape de l’insoumission. Ainsi, on entend le racisme paternel. Ainsi Constantin comprend qu’il n’est pas le seul à subir les paternelles maltraitances. La mère qui ne comprend rien, la passivité apparente d’une horrible soumission. L’enfer paternel ne s’arrête pas au langage, ses gamins doivent témoigner de sa réussite. Mano, encore enfant, est la seule à témoigner de l’empathie pour son frère, la seule qui échappe à la normalité atroce imposée par le père. . Sous le monologue de son frère, nous la verrons sombrer. Internat, anorexie. C’est aussi ainsi qu’on chemine par le langage. La saine idiotie serait de continuer à en interroger les secours. Tout une partie de L’inamour interroge finement un certain rapport à Dieu. Pour un mariage, Constantin va dans une église, en démonte l’apparat, le langage creux, la permanence aussi d’une aspiration à autre chose. Le basculement du langage c’est aussi la conscience, hélas, du trop tard. Le prêtre rencontré par Constantin ne peut rien, sa belle découverte de l’amour, dans le partage d’un dictionnaire, de l’étrangeté aussi, sera tout aussi impuissante.


Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce livre

L’inamour (156 pages, 16 euros)

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