On a tout l’automne Juliana Léveillé-Trudel

Retour à Salluit, dans le Nord Arctique, dans l’approche, patiente et poétique de sa langue, de sa jeunesse, oscillant entre désœuvrement et souffrance, et des propres révélations sur soi ainsi révélées. Évocation discrète d’une société en train de se dissoudre, d’une langue dont il ne reste que des mots éparpillés entre le français et l’anglais, portrait sensible d’une jeunesse qui tente d’y subsister, des souvenirs qui reviennent, des absences ainsi pointées. On a tout l’automne se plonge, dans une langue parfois un rien trop transparente, à mon goût, dans cette tentative de sauvegarder une bribe, de comprendre une communauté en touchant, en traduisant, sa poésie. Juliana Léveillé-Trudel écrit cette lente quête, cette lente distinction du son et du sens, des gestes et autres rituels, de la tenace fragilité de l’existence quotidienne des inuits.

On pourrait commencer par la réticence qui, hélas, m’a parasité durant toute la lecture. Hélas car je n’aime pas à avoir à m’en prendre à la prétendue platitude d’un style tant il faut reconnaître que cela me situe du mauvais côté de la barrière. On l’a entendu récemment à propos d’Annie Ernaux : à nouveau la droite aime à faire accroire avoir le monopole du style, laisser entendre que l’amphigouri, la plus pure prétention stylistique occulterait la prise en compte sociale, politique, de l’univers que l’écrivain met en jeu. Il faudrait, pour s’excepter de cette facile dichotomie, rappeler ceci : l’écrivain est celui qui a un problème avec la langue, celui qui prétend en démonter les dominations, tente a minima d’en faire un autre usage. Néanmoins, On a tout l’automne interroge la porosité entre une écriture blanche, immédiate par polissage, et sa spontanéité impensée. Juliana Léveillé-Trudel montre dans ce roman la grande richesse, la plasticité, la variété et la plasticité de la langue inuite qu’elle tente d’apprendre. C’est véritablement passionnant. Par contraste, on peut penser que son usage du français paraît presque sans problème, en lien immédiat entre les mots et ce que mal ils cernent. Alors, écriture sans fioriture ni figure de style, purement descriptive. Notons d’ailleurs que l’usage du présent renforce ce sentiment de phrases courtes, constamment efficaces, usant avec insistance du je. Peut-être un rien égarée dans son globish, un anglais de peu de mots qu’il n’est pas la peine de traduire, un français québecois familier, oral. Beaucoup de dialogue qui passe de l’un à l’autre, une impression, pas désagréable au demeurant, de rapidité. On pourrait penser, même si pas grand-chose ne le confirme dans le roman, que cette platitude de la langue vient en contraste, quasi en révélateur de la beauté, de la force de la langue dont l’autrice, veut (et parvient il faut le souligner) à nous faire complices. Figure un rien attendue de l’ethnographe dont les failles éclairent ce qu’il vient chercher. Fort heureusement, On a tout l’automne ne sombre pas dans ce travers, issu sans doute du surréalisme, de chercher dans des sociétés primitives, la vérité, voire la magie, dont les sociétés occidentales seraient coupées. Le Grand Nord, comme n’importe quel tropique est triste. Tout l’effort stylistique de Julian Léveillé-Trudel est d’en montrer l’absence de pittoresque, de se départir ainsi des poses de tout exotisme. La narratrice retrouve des enfants dont elle s’était occupée. Ils et elles ont grandi, sont devenus des adolescents. Ils évoluent aux frontières de notre univers mondialisé, mercantile. La langue, peut-être, se fait plate pour évoquer la banale quotidienneté de la vie là-bas. Allez savoir pourquoi, j’en attendais un pas de côté, un basculement dans l’ailleurs, un outrepassement du réalisme. On aura les amours de la narratrice, sa difficulté à s’installer, son désir d’enfant. On aura surtout de jolis souvenirs maternels, cette inquiétude aussi pour les membres de la communauté.

Et malgré tout, on se laisse prendre au miracle de la langue. Ne serait-elle pas toujours celle de l’autre, ne se dit-elle pas toujours dans sa menace ? La narratrice le remarque, l’inuit est peu enseigné, disparaît lentement. On a tout l’automne parvient alors non tant à nous en faire entendre les derniers éclats qu’à envisager une prolongation de cette langue. L’essentiel du livre se résume en des poèmes, dans la volonté de les traduire en français. Écrire serait traduire, au plus proche, des sentiments. Dans cette petite communauté, les enfants y arrivent admirablement. Garder trace d’une langue serait alors montrer les nuances que celle que l’on utilise ne contient pas. Contrairement à ce que l’on raconte, elle ne compte pas une cinquantaine de mots pour différencier les différents états de la langue. Par contre, et je trouve cela fascinant, elle comporte beaucoup de mots pour dire la peur par ce qui en compose le motif le plus identifiable. Souvent les chapitres sont une expression autochtone des plus sidérantes : naissance se traduirait par espace-temps où être dorénavant un humain, hôpital un endroit où l’on souffrirait longtemps, cette langue ne comporterait pas de juron. Sans doute est-elle incapable de dire le malaise adolescent, pas le passage du temps, les plaisirs de la chasse, un certain attachement à l’immuable, la beauté d’un paysage dont elle ne sait dire l’altération, voire la perte. Un livre intéressant en somme.


Un grand merci à La peuplade pour l’envoi de ce roman.

On a tout l’automne (202 pages, 23 $95, 19 euros)

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