Le joueur Emmanuel Régniez

Portrait du poète en joueur, amnésique, masqué derrière sa mélancolie. Vertige de la dépersonnalisation, ivresse du jeu, de l’inventif oubli de soi. Poèmes de fragments, d’une perte de soi comme un pari sur la fausseté de la fiction, la vérité des masques, d’une fixation visuelle, aussi, d’instantanés. Dans ce mince recueil, d’une grande simplicité apparente, Emmanuel Régniez poursuit son travail de fixation des instants de fêlures, des basculements disent, qui sait, tous les possibles d’une existence. Le joueur ou la saisine de ce qui se répète, tente toujours de se dire autrement : la littérature.

On est très heureux de vous parler d’une nouvelle publication des belles éditions Dynastes. On pourrait, dans cette optique (peut-être un peu fausse, sans doute révélatrice) inscrire cette mince plaquette de poème dans ce qui se construit, malgré tout, manuellement, comme une enthousiaste et enthousiasmante ligne éditoriale : disons la description de notre réalité dans tout ce qu’elle a d’irréelle, de vécu pas seulement par soi-même et dont la description, simple comme de fausses évidences, en souligne insuffisances et échappatoires. Pensons Aux objets tu peux te confier de Jeanne Borensztajn, par ailleurs illustratrice des évocatrices, car minimales, couvertures de cette maison d’édition. Un rapprochement superficiel, proposer seulement pour montrer la singularité de l’œuvre dont on tente de rendre compte. S’il fallait comparer Le joueur à une autre œuvre se serait bien sûr à Une fêlure qu’Emmanuel Régniez a récemment publiée. Si continuité il devait y avoir (pourquoi et comment?), peut-être tiendrait-elle à cette impression d’un trompe-l’œil dans son acceptation la plus visuelle. Un déport à la confession dont pourtant on entend, par note, l’aspect tranchant. Certes, il paraît moins douloureux, moins scabreux, moins strictement sexuelle et photographique, que dans le conte cruel qu’était Une fêlure. Un pari réussi en tout cas tant il donne envie de relire ce récit à la lumière de ce que nous cache Le joueur. On attendra la parution, très bientôt, de son prochain opus pour interroger cette continuité. Pour savoir si on peut parler de réinvention, de travestissement entendu ou sens d’une visible altération qui sert à pointer, sans que l’on puisse tout à fait y croire, que c’est la même personne qui tient la plume, dirige les trompeuses lumières.

Est-ce que tout recommence ?/On ne s’évade pas du temps, /pas plus qu’on peut se libérer de sa mélancolie.

J’aime les livres qui nous laissent avec nos interprétations, le soupçon qu’elles soient excessives, voire vaniteuse. Que tient-on absolument à dire de nous à travers cette lecture ? Rien sans doute, ou seulement, à l’instar de l’auteur, « ces fragments de vie autre que la sienne. » Le premier poème nous plonge dans l’esthétique, truqueuse sans doute (n’est-ce pas là le sens essentiel du jeu, de la fiction, se faire croire que l’on pourrait duper le destin?) comme toute parole qui s’autorise du je, d’un amour perdu, de l’amnésie qui s’ensuit pour un geste qui ne sera pas esquissé. La main d’une jeune fille que l’on n’a pas pu saisir, à quoi ça tient, la vie ? Le goût de la mascarade, qui sait, est une parade hasardeuse. Pour n’être plus personne, pour décrire plus profondément cette manière que nous avons tous de nous défaire, de survivre comme si nous existions à peine, pour de faux, comme si nous pouvions être autre, Emmanuel Régniez se plonge dans l’univers des joueurs. Est-ce si important de savoir s’il parle de lui, s’il décrit une esthétique poétique et/ou romanesque ? Le jeu comme crispation de l’instant, de son indétermination, l’entretien de l’illusion de ne pas savoir ce qui va advenir, de se maintenir dans la réconfortante binarité du perdre ou gagner. Les rituels et les répétitions, autant de costume pour un quasi-fantôme. On ressent, on s’y assimilerait presque, dans ce désir de se faufiler dans ce qui ressemble à un « chef-d’œuvre baroque », la possibilité d’habiter « le monde comme s’il était réel », ce que seul permet la fiction. On s’arrêtera là avant d’interroger, avec quels outils, pour quelle finalité, ce que tait cette vie « où tout se répète/où tout recommence. »


Merci aux éditions Dynastes pour l’envoi de ce livre.

Le jouer (68 pages, 8 euros)

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