Notes sur l’art de se vaincre Guillaume Bunel

Les mutations de nos figurations mortelles, les instants de dépassement dans un évanouissement qui nous en font toucher le néant, les découvertes scientifiques pour mieux en toucher la grouillante, fascinante matérialité. Entre notes de lectures, rêveuses fiction, miroir de nos infinis, Notes sur l’art de se vaincre offre aussi une promenade érudite sur nos inquiètes, destructrices, façons de figer l’instant, de le percevoir idéalement comme une mystique, a minima une présence de l’absence. Guillaume Bunel passe d’un récit à l’autre, d’une tradition à l’autre, pour saisir notre perduration comme si nous étions fourmis sidérées par la mélopée de nos aveuglements, de nos mythiques métamorphoses.

Plutôt qu’à nouveau dire tout l’enthousiasme que j’éprouve à lire toutes les parutions des éditions Dynastes, que de vous conseillez d’aller acheter leurs livres littéralement cousus mains, on pourrait dire ceci : Notes sur l’art de se vaincre est un de ses livres qui dissipe l’impression de trop lire, pour moi, lecteur submergé, d’accumuler les lectures intéressantes, intrigantes, mais qui en vous rien ne remue. Disons-le alors ainsi : Guillaume Bunel traduit une de mes vieilles obsessions, en ce moment même remis sur le métier, la figuration de ce vide définitif, inacceptable, que nous sommes au secret. Jamais on ne surpassera ce que Georges Bataille s’est épuisé à éprouver comme expérience intérieure: une sorte d’effondrement, l’instant où, avant de disparaitre, avant que celui qui le perçoit ne s’évanouisse, l’expression matérielle de l’impossible. Notons que nous proposons cette lecture comme une dérivation, une autre forme, sans doute un peu fausse, de ce que cherche à cerner Notes sur l’art de se vaincre : « Milles modèles de mort étoilent mes journées » dit dans une curieuse interruption celui que l’on voudrait bien appeler le narrateur et dont nous assistons à des incursions presque oniriques. Retour à cette pâle réalité que nous prenons pour notre vie. Corpuscule alors de l’absence à soi, matériologie des fantômes, le vide de nos larvaires existences. « Nous ne quitterons pas ces nuits opaques, ces visions affolées : il faut admettre les horreurs contenues sous notre peau. »

Elles se seront organisées en d’autres corps, d’autres récits, en d’autres existences ; de petites volontés qui cherchent la lumière, des vies infimes qui luttent silencieusement, qui volètent, qui rampent, qui s’agrippent à l’instant. Qui périront aussi, se déferont à leur tour, pour que s’engendrent d’autres formes, fleurissent d’autres mythes.

En nous grouille la destruction, on le sait, on préfère, sourd, l’ignorer. Pourtant, la seule possibilité de se vaincre reste de prendre conscience de la mort à l’œuvre dans toute existence. Nous aurons alors une manière de défiler d’instants érudits, toujours révélateurs, parfois contradictoires. On pense à Quignard sans cette fascination pour l’étymologie, son appui sur la valeur des mots. Seulement des récits donc. Évocation de l’art zen du tir à l’arc pour l’identification à ce que l’on vise, la part de mort de soi à chaque flèche décochée. L’art de se vaincre serait-il de porter notre attention sur le passage. Contempler le changement, croire en saisir de l’immuable, perdurer par-delà la destruction. Des crânes, comme les récits que personne n’invente, brandis face à la foule en guise de sempiternel memento mori. Soit. Le narrateur donc, même si aucun récit en propre ne nous appartient, décrit les miroirs vertigineux où faire entendre le « ça a été » que Roland Barthes capturait dans la photo. Un trou (de balle, pardon!) dans l’habit de l’amiral Nelson et c’est le vertige : comme dans un rêve, une porte s’ouvre sur une autre porte plus petite, un autre endroit où l’on a habité, dont mal on se souvient, des cercles de lumières, « des mondes sans espace, sans matière, ni temps. ». Se vaincre, savoir qu’il « n’y a plus qu’à errer dans l’étroit labyrinthe des chambres de mémoires. » Susciter, à nouveau, ad libitum, l’enchantement de ce qui nous échappe. La découverte d’une autre lumière sur le monde. L’immanence de la matière dans son grouillement pratiquement fantasmatique. Guillaume Bunel retrace ceux qui en font la découverte, ceux qui un instant figent la mort que ce soit un empereur chinois, la mère d’un enfant momifié, l’inventeur du phonographe ou de la photo, tous ceux qui inventent la fragilité de la revenance : vaincu plutôt que victorieux, nous le savons, « un même instant peut avoir encore lieu. Fixé mystiquement sur ce suair de cire, le présent ne fuit plus. » Nous revenons à ce que d’emblée nous pressentions, cette saisine est déperdition, égarement ; ravissement. Faire alors image à ce qui n’est pas que disparition, cette forme de mort crue acclimatée. Fascination de l’auteur pour les insectes, la vie dans les interstices qui marque notre retour au néant. Palliatif sans doute à ce que l’on ne sait pas vraiment dire, que peut-être imparfaitement l’on ressent. Une découverte à laquelle on ne peut donner son nom. Guillaume Bunel évoque la découverte des pôles : « Plus on s’y plonge, et plus la vérité s’échappe, se vaporise, se perd . » Nous sommes formes transitoires, espoir du mythe, morts pour la métamorphose.


Un grand merci une fois de plus aux éditions Dynastes et à leurs métamorphoses.

L’art de se vaincre (132 pages, 18 euros)

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