Au bord du lit Emmanuel Régniez

Appropriation d’une obsession, expression des hantises morbides, celles ressenties dans la maladie, celle pressentie dans La chute de la maison Usher d’Edgar Allan Poe, admirable réécriture surtout de cette façon d’habiter la grâce, de cette perpétuelle inquiétude de la beauté. Emmanuel Régniez nous revient avec un court texte assez insaisissable, plein d’images et d’échos, de rêveries et, partant, de profondes spéculations sur la part de mort, de tabou aussi, dont s’inspire, s’anime, toute création artistique. Au bord du lit est, tout à la fois, une réécriture des obsessions dernières de Claude Debussy auxquelles l’auteur parvient à donner chair, à animer ce dialogue avec l’opéra qu’il veut tirer de la nouvelle de Poe, à ce dialogue incessant où s’éclaire une interprétation gémellaire et incestueuse de ce si beau texte qui est ici donné, dans sa traduction de Baudelaire, en un nécessaire complément.

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La vengeance de Fanny Yaniv Iczkovits

Les liens du récit, la possibilité, ou non, de se soustraire à sa communauté, de s’en inventer une autre, de comprendre celui que l’on déteste, que l’on poursuit en entendant son histoire, sa version arrangée des faits. Très joli roman d’aventure, plein de récits enchâssés, de personnages vivants, souffrants, dérisoires et magnifiques, La vengeance de Fanny plonge le lecteur dans une communauté juive de la Polésie du XIXe siècle. Pour une histoire d’abandon du domicile et de la famille, Fanny s’en va rechercher son beau-frère, non sans, au passage, exercé son talent de bouchère rituelle, subir les foudres de la police secrète, croiser un chanteur que l’on paye pour qu’il se taise, des anciens militaires enrôlés de force dont un deviendra, par ses mots, une salvatrice légende. Yaniv Iczkovits s’interroge avec une grande finesse, un grand sens du rythme et du suspens, sur la traduction des idéaux, sur l’ordinaire décence de toute vie quotidienne, sur ses oppressions, mais aussi, pour la communauté juive de toujours composer avec ce qui arrive.

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La vierge néerlandaise Marente de Moor

Escrime de la folie, ballet des douloureux dédoublements et gémellités qui servent d’image à ce combat, contre soi-même avant tout, que sont le noble art. L’histoire d’une jeune fille, naïve lectrice de Tolstoï, qui s’initie à l’escrime, aux conceptions aristocratiques, pour ne pas dire schizophrénique, de son maître, un ancien ami de son père, une victime de guerre qui se refuse à voir ses plaies suturées. Manière de nous donner à voir l’Histoire en marche, son opposition entre une rigueur prussienne, assez dingue pour voir de la noblesse dans la guerre, et celle d’un nazisme, nous sommes en 1936, belliqueux qui cristallise toutes les rancunes. La vierge néerlandaise parvient ainsi à se pencher sur l’Histoire de la première guerre mondiale en Hollande, ses répercussions. Marente de Moor livre ici un solide roman historique.

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Les heures abolies Lou Darsan

Blancheur nocturnale d’un temps en retrait, arctique et amoureux, au-delà de l’attente, dans l’écoute onirique du dehors, de la faune et de la flore, des tremblements du Moi, des réchauffements de l’autre. Dans une belle écriture, sonore et sensible, ostensible parfois aussi hélas, Lou Darsan enregistre les frémissements de cette solitude partagée, l’immobilité des souvenirs nomades, leur confusion face à un paysage où froid et nuit étendent leur insidieux empire. Les heures abolies est une belle spéculation sur l’isolement, la rêverie, mais interroge sur l’individualisme de cette solitude à deux, amoureuse.

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Mère de lait et de miel Najat El Hachmi

De la condition des femmes dans le rif marocain, des mères dans leurs exils, des filles qui veulent y échapper. Trois générations de femmes face au patriarcat, à la coutume, à la description empathique de ses gestes, ses soutiens, ses ragots et rancunes et la nostalgie pour la parole et les récits qui les soutiennent, pour cette langue devenue autre dans l’immigration. Entre douceur et distance, Najat El Hachmi parvient à montrer la maternité, ses contradictions et ses dominations, la force d’être une femme et comment, malgré soi, on en reproduit la peur et les mécanismes. Mère de lait et de miel est un joli, âpre, roman de l’exil, de ses matérialités, son langage donc, et le refoulé de son rapport à son propre corps comme à celui de l’homme.

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