Ce que Majella n’aimait pas Michelle Gallen

Au-ras de la vie quotidienne d’une jeune femme dans une ville frontière de l’Irlande du Nord, entre souvenirs de la guerre civile — les morts et les disparus, leurs deuils — et la construction de Soi en tant que femme — la sexualité et les règles. Michelle Gallen trouve deux dispositifs pour dire la vie de son héroïne, ordinaire, sa solitude et la banale absence d’échappatoire de sa situation socio-économique : une taxinomie précise de tous ce qu’elle déteste qui donne la tonalité de chaque séquence et le rythme de son travail au fisch & chip qui donne un saisissant aperçu de la population d’Aghybogey. Ce que Majella n’aimait pas se double aussi d’une intrigue policière, le meurtre irrésolu de la grand-mère de la protagoniste donne corps à cette saisissante vision de l’Irlande du Nord.

La citation mise en exergue, comme la quatrième de couverture, invite à rapprocher ce premier roman du très impressionnant Milkman d’Anna Burns chez le même éditeur. Pas une très bonne idée, à mon avis. Ce que Majella n’aimait pas est loin d’être aussi étouffant, angoissé et comme en dehors d’un monde qui nous paraît ainsi diablement proche du nôtre. Le roman d’Anna Burns dans l’enfermement dans les commérages dont il rendait compte offrait malgré tout de lumineuses échappées, un pas de côté face à la réalité la plus sordide. Ce que fait, hélas, peu ou pas Michelle Gallen. On flirte parfois avec la patiente reconstitution, parfois cette absence d’espoir vise à la résignation. Les descriptions de la vie sentimentale et sexuelle de Majella sont à ce titre révélatrices, au bord du sordide. J’aime quand les romans offrent des brisures avec l’univers décrit, nous propose des portes de sorties, un peu de folie. Cela pourtant, ce roman parvient à l’instiller : tout quotidien est, par essence ou dans ses détails, déraisonnable. On entend, peu à peu, toute la souffrance de Majela, toutes les malheureuses parades qu’elle lui invente. Lister tout ce qu’elle déteste, inventer des sous-catégories à l’ensemble semble en être un symptôme évident. L’autrice nous invite à conclure que ce que déteste avant tout son héroïne, ce sont les autres. Sans doute pour mieux laisser apparaître l’encombrante tendresse des misanthropes, leur insatiable besoin de consolation. Ce que Majella n’aimait pas joue alors assez admirablement sur la répétition. Pas de nouveau message scande le récit les nombreuses fois où Majella consulte son téléphone. On laisse au lecteur le plaisir de découvrir comme le comique de répétition de la survenue de Jimmy-neuf-pintes révélera un joli sens de l’ironie tragique.

La routine est peut-être l’élément le plus signifiant de nos existences. Triste révélation de ce avec quoi, tant bien que mal, jour après jour, on compose. Michel Gallen fait preuve d’une certaine délicatesse pour montrer la complexité de la co-dépendance de Majella avec sa mère. L’alcoolisme et l’auto-apitoiement, les jours rythmés par le soin (du thé et des toasts) qu’il faut prodiguer à sa mère. Toujours dans une nécessaire absence de pathos. Manière pour l’autrice de montrer que sa protagoniste tente de se construire au-delà de ses pesants déterminants familiaux. Si l’on peut rapprocher Ce que Majella n’aimait pas de Milkman c’est uniquement par le poids des commérages, l’impossibilité pour ce territoire de se définir autrement que dans des identités pré-établis. En Irlande du Nord, d’après ce roman, le poids de l’appartenance religieuse montre la permanence de l’occupation anglaise, protestante. Des codes que leur non-dit rend infranchissable et auxquels Michelle Gallen donne de frappants exemples : dans la salle d’attente du médecin, un côté encore pour les protestants, l’autre pour les catholiques, un pont pour montrer cette ségrégation qui bien sûr est aussi économique. Majella ne peut se construire en dehors de sa famille, de l’empreinte de son père disparu. Notons la finesse avec laquelle, par la mort de la grand-mère, par son ultime volonté de voir ériger une tombe, sa mort est enfin envisagée à défaut d’être accepter. L’importance du commérage est alors montré par une très belle idée : Majella, tous les soirs, bosse dans un fish and chips. Toute la ville défile devant son comptoir. Ceux qui ne le font pas montrent ainsi leur désir de distinction social. Marty, son collègue connaît tout le monde, observe et enregistre les ragots et autres rumeurs. Un assez efficace ressort dramatique.


Un grand merci aux éditions Joëlle Losfeld pour l’envoi de ce roman.

Ce que Majella n’aimait pas (trad : Carine Chicherau, 344 pages, 24 euros)

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