
La lecture comme conscience du temps ; l’écriture comme lutte, futile, contre la mort. Dans cette fable animalière, derrière la cruauté de son univers enchanté, l’histoire d’une fouine boiteuse qui, chez un rusé renard prêteur sur gage, se pose avec insistance la question, assez contemporaine, de l’âme animale, de ce que peut nous apporter la connaissance et sa transmission. Dans un récit malin, enjoué et sombre, Mes désirs futiles ne se contente pas d’anthropomorphiser ses animaux, de tendre un miroir à ce que nous sommes, mais plutôt aux questions que l’on se pose. Pour son premier roman, Bernardo Zannoni trouve la simplicité du plaisir du récit.
La lecture parfois s’encombre de soucis stupides, fait comme si parler d’un livre revenait à trouver un point problématique. On finit par le trouver. Ici ce sera sur un imaginaire véhiculé qui interroge. On continue à trouver étrange d’avoir nommé Solomon, le renard, prêteur sur gage. On aurait aimé faire l’économie du mythe de l’usurier juif. Passons. Il faut savoir s’abandonner à sa lecture, trouver le plaisir sans nécessairement trouver des sens cachés. Le premier roman de Bernardo Zannoni reprend alors les codes traditionnels du récit, les adapte un peu pour en faire, en tout instant, une lecture plaisante. Mes désirs futiles pourtant interroge la construction du roman initiatique : l’élévation à la conscience reste toujours problématique, aucune rédemption à avoir. Le monde animal échappe peu à l’instinct, la fouine Archy à ce titre jamais n’est exemplaire. L’auteur parvient à le suggérer notamment dans la naissance au désir, avec sa sœur Louise, qu’il s’efforce de nommer amour. Une sorte aussi de résignation à ce qui arrive, la nécessité de s’adapter pour survivre. Pour prouver son utilité Archy chasse, se blesse, inutile il est revendu. Le roman d’initiation commence toujours pas ce genre de déplacement, de découverte d’un milieu plus riche. La naissance à une forme de culture passe, désolé pour le mauvais jeu de mots, par l’agriculture, la sédentarité aussi qui s’y trouve associé. Il faut vaincre les réticences du rusé Solomon, son dur labeur avant de comprendre sa particularité : son commerce prospère sur sa longue mémoire, historiquement l’accès à l’écriture me semble avoir d’abord servi à cela. Ensuite seulement vient la cosmogonie : les récits mythographiés de début et de fin. Sur un pendu, Solomon a trouvé ce qui ressemble à l’Ancien Testament. Vieillissant il contraint Archy à écrire des évangiles apocryphes. Tout récit serait-il, à l’origine, une correction en quête de salut. On entre alors dans un autre type de récit : difficile de ne pas penser au roman de renard, le goupil est ses tours, son héroïsme ambivalent, sa ruse canaille. Une façon d’accéder, depuis Pascal, à la condition humaine, on le sait, serait de voir un condamné mourir devant nous alors qu’enchaîné on ne peut éviter de se penser soumis au même sort. Les désirs futiles éponymes seraient d’échapper à son sort, de par le récit de sa vie, par son arrangement, d’échapper à la mort. Fort heureusement, avec un sens très sûr du rythme, un refus bienvenu du commentaire, Bernardo Zannoni se refuse à accentuer la tonalité disons religieuse de son texte. Étrangement humanisés, ses animaux conservent leur animalité, la faim les y ramène. Mes désirs futiles au fond est intéressant par le regard assez pessimiste qu’il apporte sur le savoir. Il n’apporterait qu’isolement, vaine validation de nos instincts qui ne tardent pas à faire retour. L’auteur, pour que le lecteur totalement reste dans le plaisir de la lecture, n’insiste jamais sur le peu de fiabilité d’Archy. À la toute fin, on apprend qu’il nous livre, dans une sorte de réécriture, le récit de sa propre vie : il faudrait en entendre tous les arrangements. Notons tout de même que le roman se garde bien de toute conclusion. Habilement, il ne se livre à aucune apologie idiote de la vie animale, de son instinct, du refus de la mémoire qui apporterait nostalgie et malheur. Peut-être est-ce seulement en cela que nous ne sommes pas si différents de ces animaux : nous voulons la trace et l’oubli.
Merci aux éditions de la Table Ronde pour l’envoi de ce roman.
Mes désirs futiles (trad : Romane Lafor, 218 pages, 22 euros 50)