Au bord du lit Emmanuel Régniez

Appropriation d’une obsession, expression des hantises morbides, celles ressenties dans la maladie, celle pressentie dans La chute de la maison Usher d’Edgar Allan Poe, admirable réécriture surtout de cette façon d’habiter la grâce, de cette perpétuelle inquiétude de la beauté. Emmanuel Régniez nous revient avec un court texte assez insaisissable, plein d’images et d’échos, de rêveries et, partant, de profondes spéculations sur la part de mort, de tabou aussi, dont s’inspire, s’anime, toute création artistique. Au bord du lit est, tout à la fois, une réécriture des obsessions dernières de Claude Debussy auxquelles l’auteur parvient à donner chair, à animer ce dialogue avec l’opéra qu’il veut tirer de la nouvelle de Poe, à ce dialogue incessant où s’éclaire une interprétation gémellaire et incestueuse de ce si beau texte qui est ici donné, dans sa traduction de Baudelaire, en un nécessaire complément.

On est ravi de retrouver la prose d’Emmanuel Régniez d’autant qu’elle continue à surprendre la cohérence que l’on cherche, malgré tout à trouver entre Une fêlure et Le joueur. Imitons, déformons. Peut-être, s’il faut absolument en trouver une, serait-ce dans une fragmentation du propos, des interstices de vies dont l’auteur veut saisir le chatoiement, les images et surtout leur inquiétude. « Je tentais d’avoir une oreille d’épuisement de la réalité. »

Sans doute, après Le joueur, ne faut-il pas en méconnaître l’aspect ludique, trompeur comme une identité de secours afin de ne point s’imiter soi-même, trouver d’autres issues et formes à cette usuelle panique d’être en vie. Au risque de nous tromper, on préfère cette hypothèse plutôt que de parvenir à adhérer à cette vision parfois un rien grandiloquente de l’artiste au travail.

Prêtons, comme il le fait dire à Debussy, à Emmanuel Régniez ce désir de secret afin de ne rien céder à l’imitation. Il me semble qu’il faille déchiffrer avec une grande attention Au bord du lit. Sans doute à cause de sa simplicité apparente. Premier mécanisme profane : la mort au bout du chemin, le cancer qui dévore au fondement. Les privations que Debussy ne veut pas s’imposer. Le cigare du soir après des heures de travail. Le vin aussi, bien sûr.

« Je n’ai jamais rien fait pour aujourd’hui, j’ai toujours tout fait pour demain, avec un regard vers hier. »

Face à cette fatalité, plus que jamais, l’auteur s’empare des interrogations esthétiques de son compositeur. Toujours, semble-t-il par jeu. Le peintre et son modèle : miroir menteur. L’auteur et ses écrivains plutôt. Cohorte de dédoublements d’un romantisme frénétique. Poe derrière Baudelaire et Mallarmé. Nodier et Bachelard. Présences enfuies : regarder le passé pour dire l’avenir dit, en substance, Debussy. « je n’ai présenté que des choses anciennes d’une nouvelle manière. »

Soudain des collages comme des visions. À relire La chute de la maison Usher, on décrypte des sidérations, des passages mot à mot qui font image du délabrement. Enfermement monomaniaque sous l’égide du monarque Pensée. Solitude de la maladie, une sorte d’isolement par hallucinations.

Un dialogue, un hommage. On a été si content de relire du Edgar Allan Poe. On pourrait revenir sur le dialogue qu’est sa traduction par Baudelaire. Fidélité par contagion des obsessions qu’Emmanuel Régniez vient faire entendre, met autrement en forme. Ça sonne si bien. D’autres que moi, mieux, parleront de la musicalité d’Au bord du lit.

Des flottements de fluviaux reflets. Au loin la mer, toujours recommencée, déjà s’efface. Ne reste, comme dans la nouvelle de Poe, que des étangs. Noyade et délabrement. L’insidieuse dévoration du silence, sa patiente écoute à travers la forme fragmentée que donne Emmanuel Régniez.

Une interprétation, alors, comme une intuition, inachevée. Interminable opéra, toujours rattrapé par la mort qui en est le cœur sensible. Roderick et Madeline, amants incestueux, une trop grande, névropathique, proximité d’âmes.

On sait Emmanuel Régniez, depuis Une fêlure, sensible aux sombres secrets au centre du conte. Expression de nos tabous, de leur silence auxquels il faudrait trouver une note, une petite musique. Un dépassement aussi de leur commentaire. Debussy, halluciné, discute avec Lady Madeline. Son interprétation est, peut-être, vain commentaire. Stase d’explicite qu’il faudrait gommer avant la mise en musique.

Ultime, qui sait, résistance à l’effondrement. Une dernière illusion, une allégorie, encore. La faucheuse aura les traits de Madeline. Une dernière approche, tacite, demeurée en latence, de l’ineffable et de l’indicible. Derrière les déguisements, en anamorphoses comme sur la couverture, se cache et se révèle toujours un memento mori. Ce qu’il faut de macabre pour une sombre symphonie.


Merci aux éditions du Tripode pour l’envoi de ce conte.

Au bord du lit, suivi de La chute de la Maison Usher (122 pages, 15 euros)

Un commentaire sur « Au bord du lit Emmanuel Régniez »

  1. C’est vrai que je serais si contente de relire cette nouvelle d’Edgar Poe. Et très curieuse de découvrir le texte d’Emmanuel Régniez, auteur que je ne connais pas. Et merci pour tous vos articles.

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