Le roitelet Jean-François Beauchemin

Fragments bucoliques de l’âme, l’été et la camaraderie, contempler le ciel, écouter le Monde, en saisir l’inquiétude, en percevoir troubles et fulgurances dans le miroir d’un frère malade, dans celui d’une volonté de s’inscrire dans la spiritualité, l’acquiescement à la perte, aux spectres qui hantent nos vies. Derrière la légèreté de ces instantanés, Jean-François Beauchemin saisit les instants d’enchantements, leur gravité, fugace poésie, méditations métaphysique, silencieux soutien. Entre promenade avec son chien, souvenir d’enfance, vie domestique au jardin, Le roitelet se révèle éloge de cette considérable banalité de la vie ordinaire, de sa contemplative poésie.

Parfois, la lecture vous replonge dans des ambiances ou, pour être moins inexact, dans les aspirations qui les ont animées. D’une façon un peu trop catégorique, sans doute en parlant uniquement pour la littérature de France métropolitaine, nous avons nommé la fabrique de l’écrivain. On force des rapprochements, comme pour être certain qu’ils ne soient pas signifiants : on pense ici à Eric Holder, à Pierre Autin-Grenier. Un imaginaire d’écrivain, sa figuration dans une vie un peu à l’écart, à la campagne, à regarder les jours qui passent, à tenter d’en saisir la saveur, à en préserver l’ordinaire ferveur. Habiter en poète, voulions-nous croire encore. Certains oripeaux ne nous habillent pas, l’espoir n’est jamais tout à fait abandonné. Parfois, par précarité, nous en voyons surtout le confort, le dépouillement a aussi ses dominations. À moins que ce ne soit la bête jalousie de ne pouvoir prétendre, collectivement et individuellement, non tant à ce mode de vie que de parvenir, encore, à le sublimer dans l’écriture. C’est d’ailleurs ce que nous indique, par une voix détournée, un dialogue opportunément placé dans la bouche de Livia, la compagne de l’auteur : il nous faut veiller à ne jamais dévaluer le mince, épisodique, phare de la beauté. Nous voulons tous nous occuper de notre potager, écouter au soir, entre deux verres de vins, le silence des amis, regarder le ciel, écouter les saisons. Nous voulons aussi l’apparent coq-à-l’âne, l’art de la digression, de l’anecdote en apparence anodine mais qui, dans une esthétique du fragment elle aussi révélatrice d’une époque (à la louche le basculement du ciel), parvient à se refermer sur elle-même, sur la fragile et fugitive conclusion qu’elle pourrait apporter. Si nous n’avions pas, idiotement, si peur de la platitude, nous dirions que nous découvrons la très grande, la considérable, humanité de la prose de Jean-François Beauchemin. Parfois, souvent, la parole critique est très bête. Elle se résume à une intuition, un de ses biais cognitif par lesquels on approche l’irréfragable mystère d’autrui. Un de ces jugements, de valeur certes, mais y échappe-t-on jamais vraiment ?, consiste à cette impression de camaraderie, de reconnaissance d’une commune, fut-ce rêveusement, manière d’être au monde. Une attitude qui nous plaît, une projection possible dans la figure de l’auteur : « parce que la poésie sera devenue une espèce de territoire commun, une façon conjointe de tenter de déchiffrer l’énigme du Monde. » On aime ici toutes les figurations au bénéfice du doute, les vies racontées hantées par l’incertitude, tous les retraits de posture, des affirmations unilatérales. On se retrouve alors, néanmoins, face à un paradoxe. Parler d’un texte autobiographique reviendrait-il à juger, à jauger, une existence. Nous nous y refusons, nous savons ne pas toujours y parvenir. Nous exposons des doutes, nous maintenons la possibilité de l’incertitude.

Ce qui est sûr, l’ai-je entendu dire l’autre soir, c’est que je n’ai rien à entendre de mon âme, puisque c’est au contraire elle qui à l’évidence attend quelque chose de moi.

Nous approchons alors le sujet par des détours. L’art du portrait (c’est l’un des conseils donné par l’écrivain à ceux qui veulent le devenir : faites-vous d’abord peintre, décrivez votre décor) se confronte aux dédoublements du modèle, à un jeu de ressemblance, à un exercice d’admiration. Beauté du portrait de son frère dont le secours et le soutien tiendrait à cette admiration, à cette réciprocité de l’aide apportée. Évoquer la maladie mentale est toujours compliqué, interroge la normalité, voire la normalisation, véhiculé par ce désir de le comprendre. Le roitelet en fait la poursuite de la méditation de l’auteur : une spéculation sur le silence. Parvenir à le faire entendre, à laisser résonner les instants graciles ou, de concert, avec nos proches on parvient à se taire, reste le vrai miracle de ce livre. Sa feinte désinvolture, l’évidence travaillée, sans doute, de ses phrases sont, à mon sens, façon de silence, interstice de vie, latence où se forme la compréhension. Avec raison, l’auteur se réclame du réalisme. Ou, pour revenir à une vieille obsession mienne, à celle du concret. On aime que ce roman de la spiritualité, où la question de l’âme (serait-ce l’autre nom du silence?), ne cesse de revenir, s’ancre dans la matérialité. Les déclencheurs, ou les dérivatifs allez savoir, sont souvent banals, incarnés : la soupe, un vélo, un modèle de bagnole, un recueil de poèmes. « Le réel, c’est parfois un truc très imaginaire » Peut-être parce qu’il parle de son frère, Le roitelet est habité par le spectre des parents de l’auteur. Une belle évocation de l’enfance, de ses inquiétudes, du désir de devenir romancier, du déclenchement fraternel de la maladie. Laissons au lecteur le plaisir de découvrir le très grand humour de ces petites histoires, leur capacité à dire la vie telle qu’elle nous échappe.


Un grand merci aux éditions Québec-Amérique pour l’envoi de ce livre.

Le roitelet (144 pages, 16 euros)

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