Ce n’était que la peste Ludmila Oulitskaïa

L’épidémie comme moment collectif, répressif, idéal pour montrer la peur et l’emprise soviétique avec la rapidité, la virevoltante ironie propres au scénario qu’est ce Ce n’était que la peste. De cette épidémie de peste, de son expéditive mise en quarantaine Ludmila Oulitskaïa fait un récit haletant, choral, et brosse en quelques traits, dans d’expressifs dialogue, le climat de peur qui régnait en 1939 en URSS. Dans une très belle et expressive économie de moyens, l’autrice réactive cette expérience du confinement, les hasardeux parallélismes, et surtout, en dépit de tout, une indéfectible confiance, comme on dit, dans l’humanité.

On est content de retrouver Ludmila Oulitskaïa,de continuer à tenter de percer les simples, communistes allait-on dire tant l’importance sur le collectif toujours y pointe, enchantements de sa prose. Une sorte, n’ayons pas peur de mots, de camaraderie à distance dans cette reconnaissance (peut-être d’ailleurs, car nous n’en savons pas grand-chose) d’une posture d’autrice. Un effacement de soi qui n’induit aucune absence d’implication. Difficile pourtant de faire un rapprochement avec ses romans, que nous pensions à Médée et ses enfants ou à L’échelle de Jacob, avec ses admirables textes courts comme dans Le corps de l’âme. Le scénario original date de 1988. On est curieux de savoir s’il a été retravaillé. Pour effacer les indications techniques qui, j’imagine, truffent ce genre de texte. Intérieur nuit et tous le reste. Dans une jolie préface, qui ne fait pas l’économie d’une certaine prétention (le texte aurait été refusé par les cours de scénario de Valéry-Frid : rien à apprendre à l’autrice), Ludmila Oulitskaïa précise les circonstances et échos qui accompagnent la publication de ce texte. Des plus savants, des plus patients que moi, analyseront peut-être le rôle de son premier métier, biologiste, dans cette écriture qui souvent se fait presque de laboratoire. Sans froideur pourtant, car, comme elle le précise dans sa postface : cela dépend de nous. Collectivement, nous résisterons, veut-elle croire, à toutes les épidémies à venir. Elle souligne dans ce court scénario la seule fois où la police politique fut d’une utilité quelconque.

Dans ce scénario très rythmé, d’une lecture d’un trait, l’autrice souligne toujours, avec une ironique empathie, l’implacable enchaînement des faits. Pas inutile de rappeler, comme le disait Rancière, que le roman a une origine policière. Ici tout se tient par une façon de retracer les contaminations. L’horreur de la surveillance généralisée peut-être d’une diabolique efficacité. Dans l’empressement de répondre à une convocation d’une autorité par essence comminatoire, un masque glisse dans un laboratoire, dans cette urgence scientifique déjà présente avant la guerre-froide, qui prépare un vaccin contre la peste. L’épidémie se répand. L’autrice trouve un joli prétexte à un portrait collectif, à cette façon d’être ensemble dans ce monde communiste. Mayer prend ensuite le train pour, de toute urgence, rendre compte. Un vrai humour, tragique, comme il se doit dans cette évocation de la vie d’un wagon de nuit. Un soutien et des vols, des apparitions à retrouver. Ensuite, viennent les arrestations sommaires. L’autrice parvient à en décrire l’enchaînement fatal, la terrorisée acceptation. Même l’horreur à sa routine, les gestes que l’on fait pour, malgré tout y résister. Sans doute est-ce là le secret de la prose d’Oulitskaïa : donner à entendre une tacite résistance populaire, des récriminations. Une foule de personnages, saisis en trois lignes ou en un bref dialogue, dans la terreur endiguerait cette épidémie. Au fond bien moins grave que la répression politique dont Ce n’était que la peste donne à voir toutes les facettes.


Un grand merci aux éditions Folio Gallimard pour l’envoi de ce scénario.

Ce n’était que la peste (trad : Sophie Benech, 144 pages, 7 euros 90)

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