
Modeste broderie autour des différentes formes du geste d’écrire, entrelacs autour des manières de se raconter — se tisser, se cacher — dire l’exil et la formule, travailler l’évidence des textes professionnels, publicitaires. En une série de textes brefs, incisifs, frappants et souvent drôles, matière active même du livre qui sous nos yeux s’écrit, Michèle Cohen réfléchit son propre rapport au mot, son humble inscription dans une famille, dans le silence radiophonique ou la cacophonie de la pub, dans son approche, ironique et matériel, de la poésie. La rédatrice est une jolie méditation ou comment, mot après mot, souvenirs après réminiscences, à trouver sa voix.
On pourrait, je pense, approcher l’ensemble de ce livre par une métaphore employée par l’autrice, nous pourrions ainsi montrer à quel point elle s’efforce de toujours ne parler que d’écriture, d’en tisser son lâche réseau métaphorique : la compression. Michèle Cohen a travaillé à la radio, elle explore avec beaucoup de finesse cette modalité singulière de l’écrit, cette oralité préparée, son calcul des silences. Il ne faut pas s’y tromper, derrière les dispositifs assez malins, peut-être parfois trop parfois, La rédactrice est aussi un livre de souvenir. Écrire, c’est revenir, paraît-il. Un de ses souvenirs, donc, me semble éclairant. Peut-être comme moi, écoutez-vous souvent la radio, vous surprenez-vous parfois à entendre l’écriture, la finesse de l’utilisation du langage, sa très grande capacité à inventer des fictions, à documenter le réel. Ah France Q !… [Au passage, on arrête la permanente rediffusion.] Le livre de Michèle Cohen est d’ailleurs récit émouvant du temps des fictions, des lettres de refus qu’elle envoyait des lettres de refus aux auteurs qui écrivaient pour ce support. Elle évoque assez justement un basculement technologique dont le regret, assez ironique heureusement, qualifie à mon sens son écriture. Auparavant, les émissions de radio ne compressaient par leurs sons, tout avait, sur le spectre sonore, la même hauteur : un bruit parasite était aussi fort qu’un discours. Au fond, c’est ce que propose La rédactrice : enregistrer des voix, des bruits, la vie telle qu’elle s’en va. Sans hiérarchie, avec une vraie modestie qui fait du bien. Il est dans le roman, n’ayons pas peur des mots (!?) une perpétuelle et heureuse tension vers le collectif. L’écriture serait aussi l’épreuve d’une singularité toujours prise en défaut.
Bien sûr, il ne saurait être seulement question de continuer à échouer mieux. Au contraire. Il faudrait, selon l’autrice, se défaire de sa petite habilité, de cette aisance professionnelle, se retirer du sens de la formule, on serait hélas tenté d’ajouter s’écarter aussi de son impact mesuré pour ne pas dire son efficacité. Un joli fragment ouvre le livre sur Madame Genette (n’importe quel étudiant en lettres à buter sur les Figures de son mari) qui lui reprochait la platitude de son style. Faire avec ses défauts et ses erreurs, mesurer nos défaillances, écouter nos béances, comprendre que ce que l’on prend pour leur extrême singularité est sans doute leur point de convergence, de tangence, à l’objectivité. On aime l’idée, sa dérision formelle, que les premiers textes de Michèle Cohen aient été publiés dans la revue de Lejeune. Autre souvenir universitaire, Philippe Lejeune et son pacte autobiographique, sa volonté de collecter le plus possible de texte de ce genre, le cauchemar qu’en a fait Les vingt journées de Turin de Giorgio Maria. L’autrice y évoquait avec justesse son exil. Cœur sensible du livre, réussite de parvenir à en faire entendre, à mon avis, les voix. Un peu égarée dans la multitude d’une famille, s’orientant dans la recherche d’une langue. On aime ces lettres traduites du judéo-arabe, une sonorité évanouie autant que le souvenir de fête religieuse, que la mémoire de ce qui relie à la judéité. On en aurait tout perdu, sauf la capacité à raconter des histoires. Hommage alors à ceux qui sont partis, à ces discrètes présences qui assurent la cohérence d’une famille. On aime alors la discrétion avec laquelle Michèle Cohen évoque un de ses rapports actuels à l’écriture, à l’instar de Marie Cosnay, l’écriture se fait administrative, accompagne ceux qui, à leur tour, affrontent l’exil. Notons au passage, la très belle anecdote sur Levinas pour suggérer un des messages de La rédactrice : écrire, s’est imiter, une fantomale appropriation. Un exercice de style, un pastiche souvent fort réussi dans sa légèreté, la forme la plus achevée, dans sa modestie, de l’hommage. À Lydia Davis, à la platitude de son style, à la façon dont il parvient à embrasser, simplement, le quotidien.
Hasardons, quand même, un mot sur nos réticences à propos de ce livre. Michèle Cohen ensuite fit carrière dans la publicité. On peut penser que ceci à déformer son écriture ou plus généralement, on doit s’interroger si la pub n’est pas une des responsables de l’omniprésence de l’écriture blanche. Bien qu’il s’en défende, La rédactrice est aussi, en creux, manuel d’écriture. Rappelons seulement, sans tout à fait parvenir à prendre entièrement position, que l’économie verbale, son sens de formule, n’est pas la seule modalité d’écriture. On peut aussi défendre une sur-écriture, son affrontement à l’obscurité, son contre-hermétisme, son emphase et excès. Peut-être même ses échecs. On n’en sait rien. Notons surtout la très belle évocation de la poésie quand la modestie devient présence indirecte, transmission. Très belle évocation des poètes qui ont partagé la vie de Michèle Cohen.
Un grand merci aux éditions du Panseur pour l’envoi de ce livre.
La rédactrice (280 pages, 18 euros 50)
Oh la la qu’il me tente !!! Et oh la la encore…France Q…je ne jure que par elle 🙏🙏🙏Merci pour cette belle chronique
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