Le dernier rêve d’Emily Dickinson Stamatis Polenakis

Fine évocation, onirique, à l’écoute de cette conversation permanente — poétique — avec le monde de la forclusion, d’Emily Dickinson. Par une ultime conversation, inventée peut-être pour permettre la précision, la patiente et renseignée reconstruction d’un profond cheminement intellectuel, de ses insomnieuses souffrances, ses pertes et, parfois, ses illuminations. Le dernier rêve d’Emily Dickinson est un texte très bref, au plus près des fluctuations, un hommage sensible. Stamatis Polenakis y parvient à mélanger le commentaire de l’œuvre, la réflexion sur la poésie et une méditation sur ce que l’on sait de la vie d’Emily Dickinson.

On est toujours curieux quand un éditeur lance une collection de textes brefs. Alors quand il évoque Emily Dickinson, pensez-donc. On continue à aimer comment cette autrice reste une référence aussi obligatoire que réticente : on ne saurait entièrement la réduire à son mythe. Comme toutes les visions trop grandes de l’artiste, les vaines glorifications de ses souffrances dites créatrices, il faut en écouter les interstices, en révéler les contradictions. Ainsi, Stamatis Polenakis affronte sans faux-semblants l’aspect radicalement religieux de la pensée de Dickinson. Façon aussi, d’assez discrètement, de la replacer dans son contexte. « J’ai aimé à la folie le firmament avec toutes ses étoiles, j’ai aimé l’infini, l’inatteignable par avance. » C’est d’ailleurs ce qui me marque dans Le dernier rêve d’Emily Dickinson : une forme de discrétion que je commence à penser proche de l’empathie pure. Stamatis Polenakis parvient à s’effacer, à ne jamais commenter son récit, à ne jamais adopter la lassante posture de l’auteur enquêteur, qui se met en scène et en valeur dans la reconnaissance de ce qu’il trouve dans son objet d’enquête. L’évocation pas l’explication, le désir de communiquer, de faire sentir jusqu’au dernier instant. Un adieu aussi. Peut-être n’est-ce là que le moment de la poésie. Une tacite conversation, désespérée sans doute aussi. Kill me tomorrow, let me live tonight écrit l’auteur dans une référence à Shakespeare. Un instant de gagner sur les ténèbres.

Il est vrai que mon seul désir, c’est la solitude et pourtant il y a des nuits qu’on ne devrait jamais passer complètement seul.

Serait-ce l’ultime nuit, les derniers mots adressés à un fantôme. On restera à se demander si ce n’est pas une manière, fort détournée, d’évoquer les amours de l’autrice. « Vous savez l’insomniaque et le cadavre ont des caractères communs. Ils dorment les yeux grands ouverts. » N’en dévoilons pas trop, évoquons juste la manière si juste dont Stamatis Polenakis parvient à rendre grâce au silence, ferment premier de la poésie. Reste l’imminence, son inquiétude.


Un grand merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce livre.

Le dernier rêve d’Emily Dickinson (trad Myrto Gondicas, 45 pages, 5 euros)

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