Le laveur de vitre Laurence Skivée

Nettoyer pour ranger, effacer aussi, une difficile transparence des mots, des émotions, contempler ainsi, jour après jour, le monde, la solitude et le deuil. Avec la simplicité d’une langue quotidienne, avec sa condensation également, Laurence Skivée s’approche entre pudeur et retrait, au plus près de son silence essentiel, de ce que serait — face à l’oubli et au désir, la poussière et la perte — d’habiter en poète. Dans la scansion d’un récit séparée en pages comme autant de vitre à laver, pour en percer la fausse transparence, la possibilité de regard et d’écoute, Le laveur de vitre est un récit où les mots cernent ce qui revient, esquissent surtout une intranquille et perceptive façon d’être au monde.

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On adresse d’emblée toutes nos excuses à l’autrice. Voilà fort longtemps qu’elle nous a envoyé son livre. Certains s’entassent dans la bibliothèque, attendent leur moment, on les contemple parfois avec une once de culpabilité, un regard préconçu qui nous fait nous demander à quel instant cette lecture pourra rentrer en résonance avec notre incertain parcours, avec les rapprochements et autres chemins de traverse dont je continue à charger ce carnet de lecture. Il est temps, parfois, de faire un peu de ménage, de ne jamais oublier que l’espoir de repartir de zéro, de voir ainsi ressurgir nos fantômes. Avouons aussi que si j’ai repoussé la lecture de ce livre c’est par une mésentente de son sujet. Aucunement, ou presque, Le laveur de vitres ne se cantonne à l’entretien domestique, à une sorte de théorisation d’une pratique, une invisibilisation du travail reproducteur si on emprunte une sémantique féministe, personnelle. On s’interroge de plus en plus sur ce motif dont la littérature contemporaine se surcharge en ce moment : par une louable volonté politique de dire ce qui est passé sous silence, révèle une domination masculine, on en viendrait à magnifier, à traiter au moins au premier degré, la vie domestique, les limites perceptives que tout un chacun a de sa propre existence. Autant dire que Laurence Skivée est très loin de tout ceci. Tant mieux.

Tout cela est de plus en plus beau. Seule existe la solitude./ C’est elle qui nous relie.

Quelques lignes sur une page, une concentration et condensation poétique de fragments qui se suivent, font dans leur silence même un récit. Au fond, nous le savons, un récit est avant tout un effacement, pour ne pas dire une histoire de fantôme. On parle toujours d’autre chose, on se laisse porter par les volutes de la prose de l’autrice. On la regarde, pour ainsi dire, dessiner sur les vitres, attendre que quelqu’un vienne les effacer, les nettoyer. Enfin voir le monde. « On lave pour effacer quoi ? »Un peu, peut-être, de notre encombrante présence, des jours d’ennui et d’obscurité, ceux sans poésie. On le sait, si souvent on l’oublie, toute parole est une perte, douleur et désir si souvent en écho s’entendent. « Une gaieté d’ange est nécessaire dans les angoisses du plaisir. » Peut-être est-ce qui, si on excuse la naïveté du terme, m’a le plus touché dans Le laveur de vitre. On attend tous, on craint, on redoute, on fantasme, ce qui ne saurait arriver. La narratrice se sert alors de cette vitre, dans son appartement étroit, dénué de beaucoup sauf des livres, comme d’un miroir. La poésie comme efficace reflet de nos instants et de leur occupation. Tableaux et collages, affût serait-on prêt à hasarder. Invention et détour. Quelqu’un, un jour, viendra désembuer notre focal. La narratrice en contemple la joie, le travail silencieux, l’anonymat et tout ce qu’on peut lui prêter. Qu’importe sans doute si ce laveur de vitre existe. Pure spéculation, il permet de réfléchir. Alors bien sûr, le ménage renvoie à notre éducation, des gestes transmis, des habitudes, presque une conception du monde. Tout doit être rangé, on vit dans l’illusion de contrecarrer l’oblitération de ce que nous sommes. « Tout est là mais remis au monde par la prise de conscience. » Dans cette puissante réflexion sur la solitude, Laurence Skivée parvient à faire, d’abord au détour d’une phrase, ressurgir les souvenirs. Parce que c’est bien sûr de cela dont il s’agit : mettre à nu, et en son, l’émotion. « Que de journées sans un mot, seulement vécues par le regard. La vie. /Rien. » Dans la manière dont l’autrice, selon ses propres mots, accueille la vibration du monde, on pense à Temps permettant de Christine Lapostolle. La poésie comme invention de l’extériorité. Ici surtout de ce qui le retient. Des fantômes justement dans leur absence d’explication, dans le poids dont il grève le quotidien, peut-être le rendre dicible à défaut d’être entièrement vivable. Des disparitions sans doute, des revenants dès lors. La sœur qui est là, l’ombre du père parfois. « Le silence seul répond à mon déchirement. » Taisons-nous, laissons au lecteur le plaisir de découvrir ce récit, cette expérience qu’est toujours notre incertaine et transitoire présence au monde.


Merci à l’autrice pour l’envoi de ce récit.

Le laveur de vitres (170 pages, 21 euros)

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