Plus vivant que la vie Anna Dubosc

Les présences d’un mère au-delà du deuil, du déni, tout le présent d’une vie restituée dans l’immédiateté d’une écriture apte à saisir les instants, leur fuite, leurs transitoires échos. Plus vivant que la vie revient sur la mort de Koumiko, la mort de l’autrice, la sidération qui s’en suit, la vie qui malgré tout se poursuit, surgit dans une odeur, une rencontre, une douleur aussi. Anna Dubosc à nouveau parvient, avec une apparente simplicité, avec cette évidence, ce relâchement aussi parfois, d’une prose précise, évocatrice, factuelle quasi où se perçoit le fantôme d’une mère, le spectre d’une vie qui se réinvente.

Il est des livres qui, parfois, font apparaître nos détachements, nos prises de distance avec ce qu’hier on aimait. Durant une bonne partie de ce livre, avouons avoir songé à notre éloignement de l’autobiographie, à nos questionnements sur cette pratique. À quoi bon raconter sa vie, comment la percevoir hors des structures, répétitions, et revenances qui en font une expérience sans inédit, déjà dite ? La seule question posée par Plus vivant que la vie est sans doute comment faire autrement. Ce serait d’ailleurs un des critères de jugement d’un livre : de quelle urgence procède-t-il, comment parvient-il à la transmettre à son lecteur, que nous dit-il qui nous parle, qui touche au commun ? Anna Dubosc y parvient par une sorte, je crois, de dénuement. À la lecture, on interroge l’effacement du jeu de référence, la volonté de s’inscrire dans une lecture commune du monde, de mettre en perspective ou en écho une expérience qui dès lors paraîtrait partagée, dont l’autrice pourrait alors se croire déposséder. Mais n’est-ce pas là une platitude, une sorte d’automatisme, une conformation à un discours attendu ? À moins, bien sûr, que nous ne fassions ici que situer notre détachement. On le dirait alors ainsi : l’autobiographie est devenue un genre réflexif, universitaire, destiné non tant à des universitaires qu’à ceux qui se flattent d’en reconnaître, souvent très simplifié, le réseau de référence, d’inscription sociale. Pour que vous me compreniez un peu moins mal, ce serait l’illustration de la maternité, la réflexion ainsi induite sur la condition féminine, sur le contact à la perte et à la mort ouvert par toute naissance. Anna Dubosc, me semble-t-il, en fait une manière de sous-texte, une manière d’évidence qu’elle se refuse à creuser, à en faire symbole ou supérieure signification. La vie parfois a ses invraisemblances, ses coïncidences dont le roman ne sait que faire. La mère de la narratrice meurt, au même moment elle doit avorter d’un enfant handicapé. Une douleur, un déni. On passe à autre chose ; la vie est là, obstinée. Le livre sait si bien dire cette fragmentation du vécu, les faits qui s’accumulent sans jamais totalement s’oblitérer.

Toute ma vie ressemble à ça, la réalité n’a aucun rapport avec mes certitudes.

Avouons aussi, avant de nous dire que nous devenions un sale con, avoir trouvé par instant l’écriture un peu relâchée. Il faudrait plutôt la dire familière, quotidienne. La folle lucidité de pointer nos aveuglements, comprendre tout ce qu’on a pas voulu voir. Éviter aussi de croire aux conneries d’une psychologie positive : faire son deuil, et pourquoi pas passer à autre chose ? Saisir seulement des bribes du quotidien. Être autrice aujourd’hui c’est aussi être AESH, avoir des rendez-vous d’insertion. Pas mal de voyage aussi, derrière l’écriture la précarité ne paraît pas si fauchée. L’impression de relâchement stylistique, idiote, éclaire sans nul doute le projet même du livre : dire le présent, comment il est troué de souvenirs. Koumiko et son désordre, les lieux et leur pouvoir intact d’évocation, d’incarnation de la perte. Tous les détours que prennent nos réminiscences. « Il me manque un sens pour appréhender ce vide, cette immensité qui s’en fout. »Et pourtant, l’émotion est là, surgit au détour d’une phrase, d’un fragment. Sans insistance ni commentaire. Se souvenir, se taire — écrire. Une belle évocation d’un voyage au Japon, le retour aux origines qui se fait comme un manquement, un effleurement. Des actes manqués aussi, des traductions approximatives : « je ne savais pas comment elle était morte la dernière fois. » Retenons l’évidence de Plus vivant que la vie.


Merci à Quidam éditeur pour l’envoi de ce livre.

Plus vivant que la vie (162 pages, 18 euros)

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