La mémoire de l’arbre Tina Vallès

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Roman naïf, plongée enfantine dans la mémoire au moment de sa perte, suite de séquences métaphoriques comme autant de tableaux brefs où la conscience s’éveille insidieusement, douloureusement. La mémoire de l’arbre dépeint un roman de la filiation, d’une émouvante transmission d’une capacité obstinée à ne pas nommer les choses par leur nom. Dans une prose délicate, désincarnée parfois hélas aussi, Tina Vallès sait donner une voix à l’enfance et à sa conscience différenciée face aux altérations de l’âge adulte.

Il faut bien l’admettre, ma première réaction face à ce roman attachant, fut une manière de réticence face à l’émotion brute dans laquelle il nous enferme par sa façon, habile, d’en éluder les manifestations les plus larmoyantes. Un petit garçon, Jan, raconte la vie de son grand-père depuis, qu’avec sa femme, il s’installe chez les parents de Jan. Insidieux Alzheimer, désorientation progressive et une perte de la reconnaissance, de soi puis des autres, racontée avec cette délicatesse et une absence de pathos par laquelle l’émotion vous rattrape. D’où mon embarras préalable : même par ellipse, le pathétique m’embarrasse.

Le silence qui parle quand tout le monde se tait, quand papi ne termine pas sa phrase, quand mamie déplie un souvenir sur la table entre les pelures d’orange et que papi ne les voit pas. C’est à cause de ce silence que je voudrais être sourd.

Et pourtant, dans les très brefs chapitres de ce roman, dans les intervalles que l’on aurait aimé moins strictement linéaire, comprendre reliés entre eux par une suite instantanée de moment, La mémoire de l’arbre parvient à capturer les silences au cœur du langage. Le passage à l’âge adulte de Jan serait une acceptation du langage, une très belle manière surtout de conserver le souvenir de sa façon de prendre un objet pour nous parler d’autre chose. L’arbre du grand-père, la lettre O – cénotaphe oublieux – qui sépare son prénom de celui de son petit-fils interviennent alors comme autant de signes vers le réel que, sans trêve, traque le roman. Tina Vallès les collecte avec une obstination peut-être trop visible au point de laisser paraître son récit non pas désincarné mais en absence de contour. Les personnages de La mémoire de l’arbre semblent à l’occasion enfermés dans leur incarnation métaphorique.

L’émotion embarrassante qui vous étreint est évidemment rattrapé par l’allure de conte philosophique dont se dote le roman de Tina Vallès. L’autrice nous propose alors une jolie réflexion sur le point aveugle de tout récit. Certes dans une focalisation au poids symbolique un rien trop évident. Le O au centre du roman est celui de l’oubli, la plus pure incarnation du temps puisque le grand-père est horloger et oublie aussi les gestes pour réparer nos dérisoires cadrans qui le capture. La possibilité de la mémoire au prix de la transmission de l’oubli. Tout ceci est entendu mais en sortons-nous vraiment ? Soudain le grand-père ne peut plus venir chercher son fils à l’école, ne lui parle plus du réconfort apporté par les arbres. Au centre de cette perte qui a pour non, au fond, littérature intervient la question de la représentation. Le roman ne s’est peut-être pas encore extrait de la querelle des icônes : doit-on conserver les traces de nos enthousiasmes, les vestiges de nos magies ou faut-il, au prix de l’effacement, seulement en garder le souvenir de la joie. Dans son apparente simplicité La mémoire des arbres y parvient.



Merci aux éditions Philippe Rey pour l’envoi de ce roman

La mémoire des arbres (trad : Juliette Lemerle, 220 pages, 17 euros)

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