Demain s’annonce plus calme Eduardo Berti

La littérature comme brèves, autant de fantaisistes nouvelles sur ses pouvoirs et ses altérations, ses dédoublements et surtout son rapport si particulier, souvent hilarant, avec la réalité. Dans le pastiche du journal, dans un jeu de mots sur des nouvelles qui en fragmente le propos, Eduardo Berti crée un monde où la littérature serait décisive. Sous sa très drôle légèreté, Demain s’annonce plus calme interroge notre rapport à tous les décalques, appropriations fantasques dont sont faites nos vies.

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L’os de l’obscur André Rougier.

En parcourant, survolant parfois, L’os de l’obscur (autopsies du Sujet) d’André Rougier dont je livre ici le manuscrit.

On se fond ici dans une forme variable, dans le désordre de notes de lecture « à chaud ». Voilà ce que l’on attend, peut-être, d’une lecture : en parler interrogerait la légitimation que nous lui accordons en osant écrire dessus. André Rougier nous demande ce qui peut passer la barrière des ombres, ce qui peut se réclamer comme œuvre sans la validation d’un éditeur. Triste de penser que la littérature ne serait qu’une validation par ses pairs. Néanmoins, je lis ici un tapuscrit. Peut-être ne faut-il pas en méconnaître la réticence. La poésie exige une mise en page, en espace – jeu savant sur les espaces et les blancs. À moins bien sûr que la poésie ne soit que passation, gratuite transmission. Le texte de ce recueil est ici mis à disposition, si un éditeur veut s’en emparer libre à lui. André Rougier (que je connais fort indirectement par quelques contacts sur internet mais intimement par la fréquentation de son beau site des Confins) le précise ainsi : compréhensible désir de ne pas se soumettre à l’humiliante comédie de la soumission d’un manuscrit, aux espoirs et possibles compromissions d’une publication confidentielle. Peut-être trouvera-t-il la possibilité de diffuser ici une autre poésie, à l’écart de toutes les structures, fut-ce seulement au hasard des happy fews.

Une note de lecture qui alors se fondra dans des impressions, sensations à la lecture de cette prose, rarement versifiée, injonctive. Une urgence et une adresse, un effacement qui cède, parfois, à l’hermétisme – héraclitéenne obscurité, passage et pesage de l’incompréhensible. Inventer un autre sujet, l’objet de L’os de l’obscur ? Des refus et des rebuts, une autre façon d’être qui s’écrit aussi par antagonisme, combat intérieur qui s’invente (Je suis tel que je t’imagine.) des ennemis. Vocabulaire guerrier, médiévales, démoniaques pour donner à voir les multiples visages de notre combat avec l’ange, avec l’athéisme (celui sans doute de l’athéologie de Bataille). Souvent aussi du feuillage, en contrepoint d’effacement et de refuge, s’abriter dans l’écart. Autopsie du sujet par le retrait. Rien n’est nommable. Nommer c’est blasphémer, et se perdre. Se soustraire ainsi au blasphème de la dénomination unilatérale, définitive. On sait aussi que l’écriture d’André Rougier, sur internet, est mouvance, reprise par palimpseste, quasi invisible modification de ce qui est déjà écrit. Dans sa forme fixe, il fige seulement des fuites, des sentiments perdus déjà, des ferveurs transitoires. Pour en saisir l’essence il faudrait les décrypter, en interroger la vérité jamais donnée, toujours à écouter à l’écho des mots, autant de traversée de l’illusion : Quelle parole pour discerner la chair du masque, la trace de sa pesée?Allez savoir, s’approcher, emprunter, glissement et suspens.

Se laisser toucher par, disons, le legs. Une poétique du tutoiement, toujours adressée, léguée à ce toi en soi, à l’autre, ratures de soi aux soins de l’Autre. Une poésie du potlach, toujours en regard du Même et de l’Autre. Un itinéraire, une vie à s’obscurcir dans le sujet que l’on ne parvient jamais à être que du dehors, dans ses caricaturales réductions. Toute une vie, des poèmes allant de 1975 à 2021 ; il en reste les hantises. On aime, bien sûr, comment, comme en témoigne Les confins, comment l’écriture est lecture. André Rougier souvent signale ses sources, motifs d’inspiration que sont continûment pour lui Borgès, Mandiargue, Maryse Hache, Paul Celan, Cortazar. Notons cependant qu’il s’agit de héler les spectres, de saisir les avènements, pas les généalogies. Au retrait possiblement de l’image, de raconter sa vie. «Énigme du visible», dira-t-on, avec raison, car comment vivre si tout est tel qu’il apparaît ? Au-delà du visible, du silence aussi. Une écriture du tremblé : attendre, atteindre ; entendre. Des fables pour leurs failles.

On peut – bien sûr – entendre dans cette autopsie du sujet une prose marquée par son époque. Le réseau métaphorique comme la moins incertaine des datations. On lit chez André Rougier cette essentialisation de l’écriture. On sent, et sait, la présence tutélaire de Blanchot : inatteignable idéale de l’écriture. Une part de moi, parfois, voudrait s’écarter de ce sujet comme auto-référencé. Manière sans doute d’interroger toute l’influence que cette pensée a et a eu sur moi. Il resterait au fond l’espoir de l’évidence, ce don d’ignorance. Heureusement, surgissent les décors. Quand tu écris de là où tu n’es pas, ou si peu les images surviennent, tous tes Brésils, les ruses, les danses, les vies. On sait pour l’auteur l’importance du Brésil où il passa une partie de sa vie. On l’entend dans L’os de l’obscur. On y voit des décors, souvent champêtres comme une inquiétude prêtée à l’ortie. États d’âme à l’évidence, comme traversés, souvent retrouvés dans cette poésie de la mémoire. On écoute aussi, en creux, anamnèse d’une ombre, de cette saison éthylique. Se souvenir, dans une conception très proche des penseurs et écrivains des années 70-80, serait se voir autre, se répandre dans la distance pour paraphraser l’auteur. Il faudrait alors y reconnaître un véritable projet politique. Une évidence que parfois je retrouve de moi-même considérer comme datée. La littérature serait contestataire dans sa forme, disons, d’avant-garde, allant contre l’évidence, les passages obligés.

La question imposée dans ce recueil resterait peut-être celle de l’individualisme. consentement à soi et non contentement de soi. L’irrésolue hantise de savoir qui parle en soi. Un personne multiples seul à même de soupeser les mille possibles, moqueurs et passionnés, de soi-même. Ou pour le dire autrement : s’assume encore dans le combat pour qu’un jour nous soyons tous ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être. Par platitude on pourrait alors dire les instantanés suscités par l’ensemble de ces poèmes. On préfère parler de la manière dont le retrait, le polissage, gommage et biffures, des créances cédées à la langue, laisse entendre des instants, l’heure âpre, l’effacement aussi des apaisements. Souvenir d’une lutte, toujours à reprendre. Car écrire c’est vouloir et décevoir, indéfiniment rejouer la dictée de la promesse, renouer avec le frisson d’en découdre et le besoin d’avouer. Un peu scolairement, parler poésie revient à évoquer rythme et sonorité, envisager la façon dont leur mise en adéquation est producteur de sens. Révélation sans doute du tangage du langage et de ce qu’il a, pour paraphraser Leiris, à nous apprendre. Une poésie toujours rieuse, le jeu de mots sert malgré tout de révélateur, vecteur d’une pensée politique. Le langage est Pouvoir, la poésie doit s’en émarger (en signer les marges) : Les « maîtres mots » sont les mots des maîtres – rien d’autre.

Alors, sans doute de soi -même, à nouveau, il faudrait se méfier. Question de méthode. Une pensée par moi doit se défier de son sens de la formule, souligner cependant ce qu’elle pointe, signe vers un réel que rien ne saurait réduire, commenter. Toujours, rarement bien sûr telles des sombres épiphanies, à l’ombre panique de l’entre-deux, André Rougier guette l’univoque. L’assise et ses coïncidences, l’instant de l’oubli et de la mémoire, de l’évidence du mystère. Celui aussi où je comprends qu’il me faudrait parler plus clairement, prendre le temps de relire L’os de l’obscure, le confronter aux autopsies (est-il utile d’insister sur l’espoir visuel porté par ce terme) d’un sujet moi-même successivement traversée, juste pour voir, avec le temps, ce que je continuerai à y reconnaître. Un jour peut-être vous parlerai-je de ma manière de lire, trop vite – dans la hâte d’en finir. Peut-être à y retrouver si un camarade éditeur accepte de se lancer dans l’édition de ce texte. La modestie de servir déjà à cela : passeur. Éveiller la curiosité de lecteur, diffuser. Ou Comment oublier cette part de toi qui n’appartient qu’à autrui?, subsister soi dans le contact à l’Autre, seulement dans des interpolations.

Voici donc le manuscrit. Avec l’accord, bien sûr, de l’auteur, il est diffusé sous licence Creative Common.

Indices Zadie Smith

Fines chroniques, à hauteur de femme, de la vie confinée, du rapport à l’écriture et à nos propres justifications, au virus du mépris, à la mort qui n’arrive plus qu’aux autres. Avec cette désinvolture assurée, cet à-propos du témoignage humain, Zadie Smith livre un aperçu de l’Amérique, de son quotidien d’autrice. Indices autant de point d’accroche pour ce moment si dur à penser.

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Dans le jardin d’un hôtel Gabriel Josipovici

L’art de la conversation, de l’effleurement. Des dialogues profonds, parfois tacites, toujours avec cette légèreté qu’a la vie telle qu’elle passe sans être comprise. Avec son usuelle et souriante délicatesse, Gabriel Josipovici se fait allusif pour évoquer tout ce que l’on n’a pas su, ou pas tout à fait, être. Comme une ombre, une silhouette montagneuse, le passé revient tel un endroit possiblement retrouvé, la mémoire d’une disparition.

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Une deux trois Dror Mishani

Le désir de dialogue, de découvrir, séduire et subjuguer l’autre jusqu’au meurtre. Dror Mishnani explore les méandres de nos solitudes, ce que l’on fait pour croire y échapper, ce que l’isolement signale de nos sociétés. Une deux trois, un polar d’atmosphère, un aperçu de la déraison de nos justifications mentales et, au final, une lente montée de la manipulation.

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