La mer de la tranquillité Emily St.John Mandel

La fiction : un fichier corrompu dans l’arrangement du temps, une incorrigible anomalie crée par de confinés voyageurs dans le temps. Le roman pour sa capacité à évoquer la mélodie des souvenirs de l’avenir, une sorte d’hallucination où se dessinera, in fine, le rôle du narrateur. Récit de science-fiction mêlant, assez habilement, une vision d’un avenir lunaire où les épidémies se multiplient, où l’homme continue à se fuir, La mer de la tranquillité est une réflexion sur le romanesque, sur l’impact qu’il peut avoir sur la réalité, mais surtout sur le poids de nos actes. Emily St. John Mandel signe un roman très (trop ?) efficace où entre 1912, 2020, 2203 et 20401 le temps instille de secrètes correspondances à laquelle le roman apporte un éclairage final relativement surprenant.

Nous découvrons, avec ce roman, Emily St. John Mandel. Nous étions intrigués par son univers apocalyptique, par son caractère inventif. On retrouve tout ceci dans La mer de la tranquillité. En un peu trop calibré, peut-être : les chapitres sont courts, on met du temps à comprendre qu’ils se révèlent elliptiques. À se vouloir très brefs, rythmés pour faire progresser une intrigue tendue, avouons les avoir, surtout pour la première partie concernant Edwin St. John St. Andrew, trouvé expéditifs pour ne pas dire esquissant un traitement presque superficiel des personnages. Edwin est un jeune noble en exil pour avoir osé critiquer le colonialisme anglais aux Indes. Sa peu sympathique indolence se heurte à un événement qui le déphase. Des vibratos de violons entendues au pied d’un érable, un bruit soudain. Une manière d’évanouissement. Le personnage suivant, Vincent, jeune bourgeoise new-yorkaise abandonnée par son mari attrapée une arnaque financière, peine, pareillement, à susciter notre empathie. Reconnaissons tout de même à l’autrice un certain talent, un très sûr sens du rythme, pour livrer le mystère de cette mélodie qui se répète et se trouvera cette fois capté en vidéo. Un peu plus poussée, animée surtout d’une sourde inquiétude, la troisième partie est plus convaincante : justement parce qu’Emily St.John Mandel s’amuse des concordances temporelles. Cette projection dans l’avenir paraît une belle façon de dire le présent, celui déjà presque oublié où l’on savait l’avenir saturé de soudaines épidémies. Le confinement, les angoisses qu’il fait naître, les inventions nées du permanent désir d’ailleurs qu’il fait naître, qu’il finit par exiger. Il serait un peu facile de faire d’Olive Llewellyn (notons la pertinente onomastique, son inventivité faite de détournements) un double de l’autrice. Et pourtant. La mer de la tranquillité offre une réflexion sur les raisons qui poussent à lire, pire à commettre, des romans apocalyptiques. On peut certes y deviner une vision craintive à l’égard de la technologie, une luddite volonté de revenir à une sorte de pureté, à une vérité qui tiendrait par une coupure volontaire. On peut. Si on envisage le rôle de l’Homme dans ces épidémies à répétitions. Lire un livre est sans doute pointer les omissions que l’on y trouve. Un éclairage sur Soi plus que sur l’autrice. On peut quand même envisager que la prolifération de cette lecture apocalyptique correspond à un état du capitalisme tardif qui peine à nous inventer un futur en commun. Notons aussi cette hypothèse importante : notre croyance acharnée dans l’apocalypse découlerait d’une volonté de s’inscrire dans l’Histoire, de se penser la dernière génération. Soulignons alors un curieux apolitisme dans le roman d’Emily St. John Mandel. Il faudrait surtout se montrer un peu plus fin que cela. On comprend, comme il est dit à Olive, que l’autrice ménage un roman plein d’esquives, que son minimalisme tient peut-être à la place qu’elle laisse au lecteur. À la forme d’ailleurs de son intrigue assez habile : on peut comprendre que ce traitement un rien sec des trois précédentes parties tient aux connaissances que peut en avoir le quatrième personnage, le véritable héros de La mer de la tranquillité. Gaspery (allez savoir pourquoi on entend dans ce prénom des accents canadiens, en devenir) vit sur la lune. Dans une sorte d’atmosphère confinée, sous un ciel artificiel, dans une sorte de colonie dont l’autrice nous suggère tout le pessimisme. Il devient voyageur dans le temps. Notons au passage qu’Emily St. John Mandel pose une hypothèse qu’elle développera ensuite peu. Les scènes qui reviennent seraient des interférences, prouveraient donc une manipulation du Temps, des fichiers corrompus qui tendraient à prouver que tous vivent dans une simulation. On salue au passage la mise en abyme : tout ceci n’est qu’un roman, peut-être projections anxieuses de l’autrice quand elle vivait cette sorte de perte de réalité qui a pu marquer certaines conditions de vie durant le confinement. Notons surtout la belle discrétion de La mer de la tranquillité, la manière dont ce roman poursuit une réflexion sur le roman en le pratiquant. Des réalités inventées qui se ressemblent. On connaît tous le paradoxe du voyage dans le temps : s’il était techniquement possible, il serait au fond impossible tant toute altération serait susceptible de rendre impossible la naissance, la survenue ou la survie du voyageur dans le temps. On revient sur des réalités auxquelles on ne peut rien changer. Une des définitions possibles de la littérature. N’en disons pas plus. Laissons au lecteur le plaisir de découvrir les astuces et explications que le roman sait amener.


Un grand merci aux éditions Rivages pour l’envoi de ce roman.

La mer de la tranquillité (trad : Gérard de Chergé, 298 pages 22 euros)

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