Le marché aux fleurs coupées Sarah-Louise Pelletier-Morin

Cultiver l’efflorescence d’autres métaphores, une écologie poétique à travers la différenciation de notre rapport — social, politique, affectif, amoureux et fictionnel — aux fleurs, à leur beauté malgré tout. Entre petit poèmes en proses, réflexions, notations, Sarah-Louise Pelletier-Morin dessine une esthétique contemporaine, un nouveau lien à ce qui ne saurait être objet ornemental, coupé, commercialisé, mais à l’abri des regards, des canons esthétiques, cultivés, partagés. Le marché aux fleurs coupées séduit par sa scansion, ses fragments et la concertation et concentration de sens qui souvent, sensuellement, apparaît comme une révélation dont la fanaison ne serait pas fatalité.

À tort, je ne lis pas assez de poésie. Naïvement, il convient pourtant de l’affirmer : je crois le monde pas entièrement foutu tant que quelques-unes et quelques-un continuent à en capturer le rythme et les images, ne renoncent pas à se saisir à notre commune aspiration à la beauté. Ce serait donc la première attraction de ce premier recueil de Sarah-Louise Pelletier-Morin. Disons la manière dont, aujourd’hui, il paraît compliqué, voire contradictoire, de se réclamer d’une célébration du monde, d’un lyrisme, et de ses excès, dont on nous cesse de rabâcher qu’il est hors de propos. L’autrice, me semble-t-il, s’en approcher avec une certaine défiance. Citons seulement des épigrammes qui, à titre personnel, m’interrogent : quelle idée, franchement, de citer Houellebecq dont la poésie, sans évoquer ses idées nauséabondes et la résignation de ses récits sans intérêt. Sarah-Louise Pelletier-Morin, apprend-on a fait un mémoire de maîtrise sur cet auteur, intéressant la circulation des idées, la reprise et la déformation. Retenons-en seulement, une conception de la nature qui ne parvient à désormais nous définir, à nous séparer. On sent ici que l’autrice s’inspire, sans doute, des travaux de Dona Harraway, de cette quête d’une sensibilité qui ne saurait être, désormais, l’apanage des seuls humains.

Les écologues tentent de déconstruire l’idée que le végétal ne ressent rien, qu’il ne possède pas de monde affectif. Cette communauté d’individus pressent une sensibilité au-delà du mutisme, au-delà de l’immobilité.

Écoutons-en le trouble et la friction, l’altération de point de vue, regardons la manière dont la fonction première d’une fleur serait d’essaimer la vie. On aime alors les fictions, instantanées ou inventions il ne nous appartient plus de départager la réalité de ce qui se donne à entendre. Bien sûr, les métaphores (est-ce utile de rappeler qu’elles sont déplacement de sens?) florales finissent par se confronter aux sentiments amoureux. Immobilité et discrétion, contemplation des fleurs, entremêlement et partage de toutes les connaissances qu’elles peuvent faire essaimer. Au vent, on sème, on verra bien ce qui repousse. De très belles notations aussi sur l’artificialisation et la mondialisation des fleurs, de ce marché qui, depuis la tulipe, reste le symptôme de la mondialisation. Là encore, toujours dans un discret écart, une autre manière d’être au monde. C’est beau serait-on tenté de dire par une facilité de langage. Comme on pourrait poursuivre par le très scolaire carpe diem que finirait par évoquer la rose. On aime surtout comment Le marché aux fleurs coupées dépasse son propos, comme si j’avais souvent pensé que l’esthétique est un débordement, un soulèvement pour le moins. Un corps-à-corps pour le moins avec la temporalité. Des poèmes qui, dans leur simplicité, restent en tête : «  penser le monde abstraitement/au devant de ce que l’instant prédit. » Un outrepassement, une façon de ne pas se laisser réduire à son propre propos. Une écoute qui se produit et qui, à mon sens interroge la part de reconnaissance de toute communication. On colle ici des fragments, nous voudrions ainsi inscrire ce qui nous retient dans ces phrases et ce qu’elles ouvrent : « Nous habitons un dommage immaculé, nous habitons l’articulation entre l’amour et la violence, nous habitons la fracture du dicible. // Nous pensons que la grâce est une sorte de lumière. » La fragilité de ces fleurs coupées, l’irréfragable de l’instant : « Nous ne posons jamais la question du temps, plutôt nous cultivons son envers : les manies, les compulsions, les collections. Les jours se déroulent comme une succession de vérités tragiques. » Un silence, topographique, on passe à une autre page, un autre fragment, une autre appréhension du temps qui, donc, ne serait pas strictement personnel. « ici le jardin nous pose des questions lentes. » On devine un arrêt, l’amoureuse contemplation des saisons, la culture dans un canadien delta, un débordement avant la solitude de l’hiver. Des sensations, toujours, l’odeur de la neige. « En haut, les astres n’ont pas besoin du ciel pour croire. », nous aurions besoin de plus de mots, mieux choisis, de temps aussi pour dire les enchantements, formules et sensations que nous ont apporté Le marché aux fleurs coupées.


Un grand merci à la Peuplade pour l’envoi de ce recueil

Le marché aux fleurs coupées (220 pages, 24 $95, 19 euros)

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