Archives de la joie, petit traité de métaphysique animale Jean-François Beauchemin

Fragments de joie, de spiritualité, d’angoisse métaphysique dans le regard, la présence, des animaux avec lesquels Jean-François Beauchemin, toute sa vie, dialogue et dont il fait un miroir à son questionnement, à sa tranquille curiosité pour le monde, sa souriante nostalgie pour son enfance, à la rieuse manière dont l’écriture lui fait joyeusement habiter l’ensemble. Archives de la joie, très joliment titré Petit traité de métaphysique animale, est un livre sautillant, heureux même, où les chiens et vaches, les renards et chats deviennent l’incarnation d’une poétique écoute du monde, voire de son acceptation, par l’intelligence, la mise en relation, de la mort et d’une intranquille mise en pratique d’une spiritualité athée hantée par le silence des animaux et par le doux acclimatement des questions que finit par y deviner Jean-François Beauchemin.

On est positivement ravi de découvrir un nouveau titre, pour l’Europe du moins, de Jean-François Beauchemin. On le retrouve avec autant de plaisir qu’il continue à m’interroger. Pour ne parler que de lecture, de cet écart critique, disons que j’ai lu en même temps Qui après nous vivez d’Hervé Le Corre et ces Archives de la joie. Difficile, dès lors, de ne pas souligner un certain, disons, aveuglement dans l’œuvre de Jean-François Beauchemin. Aucune évocation des bouleversements climatiques, de cette destruction des espèces et, comme dans Le roitelet de la situation sociale qui permet à l’auteur de vivre à l’écart, de cultiver son jardin. S’émerveiller tant qu’on le peut. Ne soyons, cependant, pas chagrin : un livre heureux est si rare. Comme Jean-François Beauchemin le dira d’un animal : « il avait opposé à cette souffrance une sorte de douleur déraisonnable » Il faut donner à entendre l’art du fragment que déploie l’auteur dans une prose toute de légèreté, de celle qui trouve des détours pour cerner, en creux, la gravité du propos : « exprimer les choses à la manière d’un homme sourd, mais je n’ai pas trouvé d’autre manière pour dire que, de toutes mes pensées, celle de la mort reste la plus difficile à entendre. » Sans s’y attarder ni s’y complaire, l’auteur sait nous l’a fait entendre, il nous fait écouter aussi les fragiles réponses qu’il y trouve. Une question de soutien, le souvenir d’une proximité. Une certaine opacité aussi parfois, un peu d’ironie dans ce que l’auteur devine dans le regard de son chien, de son chat : d’insituables inquiétudes, des tourments métaphysiques échappant à la réduction verbale, à la précision conceptuelle également. Il subsiste, certes, une sorte de flou, ce flottement sans doute dans lequel tous nous vivons. Au plus simple, ce serait cela la réussite des Archives de la joie : faire partager le quotidien de l’auteur, la distance et la drôle d’ironie avec lesquelles Jean-François Beauchemin se met en scène, se regarde affronter le dérisoire, le douloureux, écoulement des jours. Il se construit une forme, on l’a dit, de bonheur : sarcler le jardin, écrire, promener le chien, rétablir la virgule supprimer le matin, s’abîmer dans les lumineuses présences de l’enfance. Ne caricaturons pas, chaque fragment en donne une vraie vision, se moque un rien, fait scène et s’incarne, touche à cette évidence de ce que nous vivons.

Je m’appuyais de tout mon poids sur la vérité sombre, incertaine, complexe, ouverte, flexible et changeante de ma chair et de mon existence, et que je cherchais donc une façon non pas de transformer la vie, mais de la pousser un peu plus loin.

L’écriture est peut-être une question de contact, de détours aussi. On aime quand elle est effacement, travail pour ne point trop se faire voir, parvenir parfois à donner corps à ce que l’on veut dire sans pour autant le figer. Jean-François Beauchemin nous dit une très belle relations aux animaux, reflet du mystère du monde. L’auteur affirme sa nostalgie, son retour à l’enfance (expression comme une autre de cette crainte de la mort) dont il nous peint de sensibles, comme on dit, restitutions. Au-delà de ses lancinantes questions, on en sent la matérialité. Citons, parmi tant d’autres exemples, ce fragment où l’auteur enfant se tait, car on lui a dit que nous aurions un nombre de mots comptés, qu’il conviendrait de ne pas les dilapider. On évoquera aussi tous les passages sur une spiritualité que l’auteur dit laïque, d’ironiques rencontres avec dieu ou avec Jésus. Nous en dirions trop, mal paraphraseront la joie transmise par ce livre, si nous parlions plus en détail des manières dont Jean-François Beauchemin parvient à faire miroiter l’ensemble dans une constante présence animale, comment il parvient à capturer, rieur, le fugace de nos joies dans ce qu’elles ont d’indiscutables, de sérieux comme une gravité qui se disperse dans l’insouciance avec laquelle nous parvenons, encore, à la traverser.


Un grand merci aux éditions Québec-Amérique

Archives de la joie, petit traité de métaphysique animale (151 pages, 16 euros)

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