La légende des Akakuchiba Kazuki Sakuraba

sakuraba

Une très belle saga familiale centrée sur le destin de deux femmes dont la fragilité devient force sous la plume d’une troisième voulue d’une normalité confondante. En dépit de généralisations générationnelle et sociologiques un peu hâtive, La Légende des Akakuchiba est un roman qui vous porte sans parvenir à vous passionner.

Avant de confesser mes réticences à la lecture de ce roman, avouons un goût controversé pour les fresques familiales ou quand le roman parvient à s’inscrire dans le temps long et à retracer une histoire collective à partir d’un destin particulier. Pour un rééquilibrage bienvenue, ce genre de roman s’est progressivement féminisée. Les éditions Piranha nous avait déjà offert le magnifique et ample La huitième vie.

Le roman de Sakuraba emprunte à ses codes agréables. La légende des Akakuchiba plonge dans un dépaysement à l’exotisme gommé pour être facilement compréhensible. Avec une certaine finesse la romancière rappelle certains faits de l’histoire du Japon qui, sans être tout à fait inconnus, restent je crois plutôt familier.  La simplicité de la langue sait d’ailleurs ici se faire didactique. Avec un sens certain du rythme (les chapitres sont justes assez longs pour ne pas paraître calibrés) Sakuraba entraîne le lecteur dans la tension entre modernité et tradition, ouverture et repli, qui sont, aux yeux des Occidentaux caractéristique de l’histoire du Japon et de sa récente et forcée ouverture au monde.

La partie la plus réussie de ce roman reste celle de la fondation mythique. Mais n’est-ce pas souvent le cas ? En dépit d’un regard rétrospectif redondant, d’un symbolisme un peu schématique, l’histoire de Man’yô fonctionne à merveille avec un réalisme magique assez charmant. La patriarche est une enfant abandonné par une peuplade primitive qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, vit encore retranchée dans son fonctionnement mythique en altitude. La légende des Akakuchiba introduit alors un beau antagoniste sur la verticalité de ce village nimbé de rêves. La belle idée narrative est de dotée Man’yô d’un don de prophétie. Il structure l’intégralité du récit. L’accouchement de son premier fils et la claire vision de son destin malheureux est d’une froideur admirable. Avec une certaine réserve, le point de vue féminin s’aventure dans une évocation de l’homosexualité au Japon. Visiblement, dans cette société hantée par la tradition, contaminée par le sentiment d’absurde née de sa perte, l’homosexualité s’orne encore de tabou baroque. L’âge « du mythe dernier » est donc assez réussi surtout par le récit de ses morts « hors de propos ». Les suicidés resteraient bannis, leur dépouille serait nuitamment ravies par ce peuple de la montagne dont est issue Man’yô.  Une belle plongée dans les mentalités tourmentées. Ce que réussi tout particulièrement Sakuchiba est la description de l’adolescence et de ses déchirures et autres oppressions. Man’yô deviendra amie avec celle qui la harcèle au moment où elle l’aidera à préparer la dépouille de son frère mort de ses traumatismes guerriers à peine relatés mais rendue sensible. Une façon d’ailleurs d’introduire pour la romancière le thème du double qui hante le roman. Man’yô devient l’héritière d’une aciérie, celle qui surplombe le village tandis que son amie ennemie règne sur le bas de la ville. Tant que cet antagonisme est réduit à son irréalité (les rouges contre les noirs) le récit nous porte.

Pourtant, très vite le principal souci de ce roman apparaît : la narratrice. La petite-fille retrace l’histoire de sa grand-mère. Elle le fait avec une pesante nostalgie mais surtout avec des réductions sociologiques qui entraîne le récit dans une belle économie narrative mais qui le pousse à définir chacun de ses personnages comme emblématiques d’une génération. Sans doute pour s’en dédouaner la narratrice (appeler au choix Regard ou Liberté, admirez la souplesse du symbole) se plaint du « pauvre conte du temps présent » qu’elle élabore sous nos yeux. Avec une insistance assez déplaisante, Sakuraba en fait l’incarnation d’une génération sacrifiée, sans idéaux, condamnée sans doute à croire que les précédentes avaient une perception plus exacte de ce qu’elles vivaient. Une sorte de naïveté embarrassante à s’acharner à croire que l’histoire s’écrit au présent, que les mythes appartiennent nécessairement au passé. Au présent, malgré la conclusion en forme d’attendue ouverture, il ne resterait plus que le cynisme de constat douteux et, à mon sens, révoltant

Des gens incapables de croire en leur pays, refusant de fonder une famille, voilà les temps qui s’approchaient, et cette intuition sinistre lui donna le frisson.

Désolé de ma propension à penser qu’il s’agit d’un progrès. Après tout la catégorisation des protagonistes par leur inscription temporelle, toujours en regard de ce haut-fourneau pourrait fonctionner si la langue de La légende des Akakuchiba avait davantage de souplesse. Peut-être est-ce une comparaison flatteuse, sans doute surtout un peu automatique, mais la prose plate de ce roman m’a fait penser à celle de Murakami. Pas franchement un compliment sous ma plume. Je ne peux en aucune manière jauger la valeur de la traduction, je la pense fidèle à une conception de la romancière dont souvent je surprends la superficialité. Horrible prétention, n’est-ce pas ? L’emploi d’un terme comme proactif m’arrache les yeux. Pis. La répétition quasi systématique de l’interjection « Rhoo ». Franchement. J’aime quand les dialogues suggèrent plus finement la réaction de ces personnages. Nous touchons-là à ce qui m’a gêné dans cette lecture. La petite-fille est perdue, oisive, contemplative d’un monde qui se perd, de la démolition d’un haut-fourneau. Ses aventures La Légende des Akakuchiba nous ennuie, sa vie sentimentale désincarnée et fonctionnelle (symbole d’une époque bien sûr) finissent même par agacer. Le roman doit être vecteur d’exaltation. Quand il traîne le poncif du désenchantement…

Une réticente importante qui pourtant n’occulte pas entièrement la valeur de ce roman fluide. Sa deuxième partie, sans doute parce qu’elle touche à la mise en scène de l’expérience personnelle de la romancière, est assez intéressante. La mère de la narratrice après avoir vécu (stigmate de l’époque) dans la « culture voyou » devient une mangaka réputée quand elle raconte sa vie de chef de gang au féminin. Les conditions éditoriales de cette production de masse, l’asservissement d’une publication hebdomadaire soigneusement toiletté sont assez finement rendues. Si le manga vous intéresse, nul doute que cette partie vous passionnera.  N’y connaissant pas grand chose, j’avoue avoir été surtout intéressé par la reprise du thème du double de son aspect fantomatique dont s’empare Akakuchiba. Au-delà d’une prostitution juvénile pour répondre à une pression des concours très prégnante au Japon, le grand intérêt de cette partie est celle de la perte de l’idole de ce gang de Lady et la façon dont il introduit la culpabilité au cœur de l’œuvre de la célèbre mangaka. Pour tenir son rythme de travail, elle engage une doublure dont les réponses aléatoires la rende plus populaire encore. Sans en avoir conscience, il s’agit d’une redite de sa hantise de sa sœur illégitime qui n’a d’autre existence que de coucher avec tous les hommes dont la mère de la narratrice s’amourache pour leur laideur. Nous retrouvons, au passage, la prose trop simpliste de la narratrice : le motif est posé sans ouvrir sur des abîmes de perplexité ou des réflexions psychologiques qui, peut-être, aurait permis d’apercevoir les mythes dont se nourrissent notre époque.

Pour ne pas finir sur une note trop défavorable sur la lecture somme toute plaisante de La légende des Akakuchiba, rendons justice à cette notion de fago. Il s’agirait du seul mot par lequel une ethnie primitive désignerait non pas la tristesse (aucun mot de la définirait) mais la capacité à sympathiser avec la peine d’autrui. Une très belle idée qui peut-être s’appelle littérature.


Je remercie Netgalley pour cet envoi mais surtout les éditions Piranha de m’avoir fait parvenir un exemplaire papier de ce roman.

7 commentaires sur « La légende des Akakuchiba Kazuki Sakuraba »

    1. L’optique politique de ce livre est très difficilement situable. Parfois dérangeante mais planquée sous la parole de ses personnages. Difficile d’en juger sans faire de contre-sens : imposer une vision de la modernité occidentale. Difficile alors de le conseiller catégoriquement malgré une lecture plaisante et souvent instructive.

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  1. Dommage que vous ayez pris les paroles de la narratrice au premier degré. La narratrice n’est pas (ou pas seulement, ou pas toujours) la porte-parole de l’auteur.

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    1. Sans doute pas. Néanmoins le point de vue et surtout le style m’ont un peu gêné. D’où, à mon sens, une vision plutôt plate, sans vraie distance avec les personnages

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    2. Sans doute pas. Néanmoins le point de vue et surtout le style m’ont un peu gêné. D’où, à mon sens, une vision plutôt plate, sans vraie distance avec les personnages. Dans mes souvenirs, je vois une grande naïveté au service d’une manière de désengagement politique assez embarrassante.
      Merci de votre lecture en tout cas.

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