Bratislava 68, été brûlant Viliam Klimacek

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Roman généreux, reconstruction précise et sensible de la diaspora tchécoslovaque après l’invasion soviétique, Bratislava 68, été brûlant charme par sa construction en tableau tendre et ironique. Sans verser dans la nostalgie Viliam Klimacek, comme on construit des trains miniatures, restaure cette époque, son climat, son inquiétude, pour permettre d’écouter les douleurs plurielles de l’exil.

Avouons d’abord notre ignorance crasse de la littérature slovaque. Le contexte de la sécession avec la République Tchèque me reste très largement inconnu. Il en sera d’ailleurs très peu question dans ce roman dans lequel le lecteur plonge avec une déconcertante aisance. Le récit, décomposé en tableau où se dessine (souvent avec un art consommé de la chute) le destin de deux familles et de leurs enfants sait rendre transparente l’invasion soviétique de 1968. Dans ce  « roman vu du bas. Du point de vue des pions sur l’échiquier », il s’agit de transposer « le monde à une échelle qui le rendrait supportable. » À l’instar d’Alexander qui confectionne des modèles réduits, s’égarera au Canada dans une folle reconstitution, Viliam Klimacek parvient à se décentrer de son histoire. Ne pas nommer le nom des politiciens qui ne le méritent pas, raconter l’Histoire à hauteur des hommes et femmes dits ordinaires qui en sont les premières victimes. Mais surtout ne pas abuser d’une centralité de la perception historique : nulle figure historique ne croisera tous ces destins auxquels le romancier accorde toute sa sympathie puisqu’ils sont issus de témoignages réels, d’archives assez parfaitement assimilées à la prose. Notons d’ailleurs ce style si particulier, fait d’un apparent détachement, d’une belle économie de moyen et d’un rythme très visuel.

Dans ce roman, j’omets volontairement la description des personnages et des paysages. Je les saute à votre place. Lecteur, je les ai toujours survolées et je vous imagine un peu comme moi, pour cette raison j’espère que ce rembourrage ne vous manquera pas.

L’auteur s’immisce à l’occasion dans son texte non pour le commenter mais pour impliquer une tendresse qui prend forme d’une indéniable générosité, d’un coup de griffe aussi à l’actualité de son pays : les migrants d’hier sont incapables d’accueillir ceux d’aujourd’hui. Une générosité dans la prose qui explose dans l’ironie du sort de ces personnages victimes de l’absurdité communiste. Un pasteur qui ne pourra être ordonné faute d’accepter de dénoncer ses paroissiens, un père contraint à l’exil par les agissements de sa fille et ses propres protestations contre l’invasion, la torture de ceux qui restent, la douleur de ceux qui partent, les kibboutz d’Haïfa mais aussi « un exercice du pouvoir absolu dans des conditions relativement modestes. Encore aujourd’hui, on ne sait pas si ça en valait la peine. »

La Tchécoslovaquie tenta de remplacer son vieux cœur de 1968 par un nouveau. Il tint trois cent jours.

Le titre de ce roman peut alors paraître peu approprié. De Bratislava il sera peu question, plutôt de Stara Ruda, un village agricole, apparemment en marge de l’Histoire mais qui en subira pourtant les méandres de plein fouet. Cela Viliam Klimacek parvient à nous le faire sentir, là gît le miracle délicat de ce roman : donner des corps à un exil, laisser entendre l’invention défaillante d’un roman national dont, toujours et partout, l’horreur prédomine. Le lecteur se demande alors pourquoi l’actualité littéraire semble aujourd’hui revenir sur les périodes de chute, la difficile transition avec le régime communiste. Nous pensons ici notamment au drôle Le grand leader doit venir nous voir ou au plus magique, et magnifique Le bûcherViliam Klimacek ne cherche aucunement à actualiser ce vieux rêve qui bouge encore. Question de contexte sans doute : comment en 1968 après avoir fuit le communisme recevoir l’utopie contestataire  et peut-être surtout comment ne pas se laisser prendre à la nostalgie née de la distance ? Seulement, qui sait, par un témoignage auquel apporter notre empathie.


Un grand merci aux éditions Agullo pour cet envoi.

Bratislava 68, été brûlant (trad Richard Palachak et Lydia Palascak, 22 euros, 365 pages).

3 commentaires sur « Bratislava 68, été brûlant Viliam Klimacek »

  1. « Viliam Klimacek parvient à se décentrer de son histoire. Ne pas nommer le nom des politiciens qui ne le méritent pas, raconter l’Histoire à hauteur des hommes et femmes dits ordinaires qui en sont les premières victimes. Mais surtout ne pas abuser d’une centralité de la perception historique : nulle figure historique ne croisera tous ces destins auxquels le romancier accorde toute sa sympathie »

    Très bien dit ! Pour moi, un vrai livre coup de cœur !

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