Une ville à soi Chi Li

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Roman du dépaysement, Une ville à soi immerge dans la vie quotidienne, prosaïque et mercantile, de deux femmes dans la ville chinoise de Wanchu. Immersion dans des mentalités d’un dureté belle et généreuse, regard entendu sur l’incompréhension de la modernité face à des traditions déjà effondrées.  Dans une prose discrète Chi Li se place à hauteur de ses personnages dans un « néo-réalisme » sans jugement mais plein d’empathie.

Avouons une certaine difficulté à parler de ce livre. Façon de confesser d’abord une ignorance totale de la littérature chinoise et une connaissance plus mauvaise encore de son contexte social et politique. Chaque phrase de ce livre, par sa simplicité un peu définitive, nous met alors en garde de le juger avec des critères occidentaux. Avant bien sûr de se souvenir que l’étrangeté ne saurait empêcher la parole. Au contraire. Précisons donc que Une ville à soi ne verse pas dans un impénétrable exotisme ni d’ailleurs dans une excursion pittoresque pour touristes en mal de visions adoucies du majuscule ailleurs. Surmonter la barrière culturelle ne veut pourtant pas dire en ignorer le gauchissement du regard.

Juger d’un livre revient à jauger son style, tout au moins émettre un avis sur l’adéquation entre le projet d’un roman et les formes verbales qu’ils inventent pour en décrire les contours. De prime abord, le style de Chi Li paraît plat. Avant de se souvenir à quel point il nous est difficile de juger de la valeur d’une traduction depuis le chinois. Deux représentations du monde se heurtent dans ce geste de translittération et pour aggraver cette impossibilité d’en juger, un style ne se décrète que face à ce qui le précède, aux écarts autorisés face à la langue telle qu’elle se parle puis s’écrit. Une ville à soi ne brille alors ni par son invention sémantique ni par ses innovations sémantiques.

Si on peut trouver un peu niaiseux des formules telles que « La vie possède une force extraordinaire » ou « On ne parvient plus à vivre quand on réfléchit trop » cette réserve stylistique éclaire le projet même de Une ville à soi. La romancière se fond dans le point de vue de ces personnages, des femmes ordinaires, brisées par l’Histoire chinoise dont le récit nous donne un aperçu lumineux. Tenante, à ce qui ce dit, du « néo-réalisme » chinois, Li Chi adopte le parler de ces personnages, leur moralité usuelle et viable. Mije tient une boutique de cirage de chaussures, elle aime l’argent, le contact et une certaine forme de tradition, une éthique de petits commerçants faite de soutien et de dévotion familiale. Vu d’ici voilà qui commence par dégoûter puis effrayer et enfin fonctionner si ce n’est fasciné. Tant que la littérature nous permettra de comprendre des modes de pensée qui nous sont étrangers voire antagonistes, tout ne semble pas tout à fait perdu.

Le droit cependant de penser la société chinoise profondément anxiogène. Une sorte d’amalgame de modernité égaré dans l’inanité matérielle et un respect pour des traditions où il faut tenir sa place, ne pas perdre la face dans un souci constant du voisinage. En un mot : l’horreur. On y ajoute, pour faire, bonne mesure, un goût du lucre fort heureusement petit à petit effacé derrière un indéfectible soutien.

Et pourtant, ce bref roman offre, à travers son histoire très ordinaire, une véritable immersion. On se laisse prendre à cette amitié féminine, faite de craintes et de joies inattendues, de force dans le partage de faiblesse, et surtout peut-être de cette façon de se débrouiller avec le quotidien. Des sentiments simples, véridiques et donc sans emphase qui ouvre à une certaine générosité dans la prose. Au-delà de l’histoire assez simple, un des intérêts de ce roman reste la précision évocatrice de sa description urbaine. La vie d’une boutique de cireuse, son interaction avec tous le quartier devient un portrait sensible, gastronomique, de Wuchan.



Un grand merci aux éditions Actes Sud pour cet envoi.

Un ville à soi (trad : Hang Ling et Vanessa Teilhet, 190 pages, 16 euros 50)

 

5 commentaires sur « Une ville à soi Chi Li »

  1. Très intéressante ta chronique, en particulier sur une autrice chinoise, pays dont on n’a pas trop l’habitude de voir les auteurs chroniqués sur la blogosphère francophone.

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  2. J’aime beaucoup cet auteur, j’ai lu d’elle Sentinelles des blé, Trouée dans les nuages et Tu es une rivière mais ces livres n’étaient pas traduits par les mêmes traducteurs qu’Une ville à soi. Chi Li a une analyse très fine de la société chinoise et cela se ressent dans ses personnages, je trouve.
    Mes avis et extraits d’ouvrages sont disponibles là : https://synchroniciteetserendipite.wordpress.com/tag/chi-li/

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