Vie et aventures de Jack Engle Walt Whitman

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Roman inédit de Walt Whitman, grand poète des pulsations des Amériques naissantes, sous sa charmante brièveté, sa mordante ironie, Vie et aventures de Jack Engle révèle une sensibilité à l’essai, un jeu sur les codes éditoriaux de ce roman-feuilleton. Au-delà de son histoire d’un orphelin en quête de ses origines, on découvre déjà la fraternité, la grandeur des plus humbles mais surtout cette volonté de dire le prophétiser le présent au cœur de Feuilles d’herbe, l’œuvre décisive de Whitman.

La publication d’un roman inédit d’un grand poète interroge toujours autant qu’elle offre une sombre fascination. Que va-t-on y deviner de la sensibilité si libre, intransigeante et rétive, si propre à Whitman ? La facilité serait d’arguer d’une déception, d’une impression de fonds de tiroir. Certes, si Whitman n’avait publié que ce roman, pas sûr qu’il occuperait une place si importante dans la poésie tant américaine que française. Loin néanmoins de manquer d’intérêt, ce roman en tout instant sympathique de par la sûreté de son point de vue disons sociale, a au moins l’immense mérite de nous inviter à lire Feuilles d’herbes. Le recueil où, toute sa vie, Whitman arrangea son chant général ou comme il le dit pour admirablement, dans son envoi : « Je chante la personne simple séparée, le Soi-même. », ou dans d’autres termes moins éloignés de la finalité de Vie et aventures de Jack Engle : « L’Homme Moderne fait mon chant. », « L’ici et Maintenant de l’Amérique ». Vous l’aurez compris, j’ai ressorti mon vieil exemplaire de Feuilles d’herbe dont le lyrisme, l’emphase et l’emportement, m’ont à nouveau captivé comme face à des terres vierges.

Sans vouloir opérer d’outrancier rapprochement, on retrouve un peu de ce basculement dans ce bref roman. Disons déjà une volonté de s’extraire d’une autre tradition, de s’éloigner du roman anglais pour tenter, modestement avec tout ce que ce mot entend d’espoir d’un indispensable retour financier pour une commande dûment honorée, de lui donner un caractère national. Vie et aventures de Jack Engle donne à cet égard un témoignage précieux des premiers temps à New-York. Whitman sait donner une exaltation canaille à ces temps, maintenant, mythiques de la fondation. Il se dégage de fait de ce roman conçu pour être publié en épisode un petit air de contestation, une belle moquerie des puissants et des magouilles les dotant de cette supériorité d’apparat. Une discrète mais charmante contestation de l’organisation même du roman, une façon de ne pas croire tout à fait à ce qu’il raconte. Certes, je crois, que nous retrouvons cette ironie, cette construction presque trop habile pour ne pas être moqueuse dans Dickens qui sert de modèle évident à ce roman. Mais Whitman  qui ne pensait ne rien savoir, ou si peu, de sa vie réelle se demande malgré tout déjà comment on raconte une vie. Ce récit, d’emblée conçu pour lui assurer sa subsistance, opère des belles coupures, se moque des détails. L’auteur renvoie le lecteur à son imagination s’il a soif de davantage de précision.

Roman totalement de son époque (on passe sur les stéréotypes du personnage de la tenancière juive d’un élégant tripot), Vie et aventures de Jack Engle se présente comme un roman moral. Sous contrainte éditoriale, la liberté de Whitman est à l’essai. L’amitié et la grandeur d’âme restent une affirmation à laquelle le lecteur peut se laisser prendre tant le poète en fait, déjà, une exaltation collective et populaire. Le jeune Jack sera sauvé par Ephraïm, un laitier à l’immense générosité. Tout le roman repose sur une humble amitié masculine avec de très jolis personnages. Une tradition qui initiée par Whitman qui irriguera toute une partie du roman américain, on pense ici à Richard Russo qui, à sa façon, chante la grandeur de l’Amérique par sa population la plus simple. Mais, il convient peut-être surtout de souligner ce point, ce court roman fonctionne parfaitement, saura séduire le lecteur, hors de toute connaissance de l’œuvre  postérieure de cet immense poète.



Merci aux éditions du Castor Astral pour l’envoi de ce roman.

Vie et aventures de Jack Engle (trad et préface : Thierry Beauchamp, 178 pages, 18 euros)

 

 
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