Los Angeles Emma Cline

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Los-Angeles : cité des récits et des rêves perdus. Solitude et irréalité où s’acclimatent peurs et ratages. Avec une vraie tension dramatique, un sens touchant du détail, dans cette nouvelle Emma Cline dépeint les déboires d’une jeune fille à la dérive jusqu’à une chute délicieusement inquiétante.

Après Moins que zéro de Breat Easton Ellis, il pourrait sembler impossible de continuer à décrire Los-Angeles et sa dévorante irréalité. Dans ce court texte Emma Cline pourtant y parvient en se penchant sur sa normalité. Au fond, le sens du détail importe surtout pour incarner la banalité de nos vies. L’héroïne de cette nouvelle soudain nous devient sympathique par cette très jolie scène où elle compatît avec un père de famille qui déplore le prix des vêtements quémandés par ses filles. Souvenir d’une honte adolescente, un partage qui ne se fait pas. L’autrice souligne alors que, comme pour celui de toutes les grandes villes, le mythe de Los Angeles est construit par ses étrangères. La nouvelle nous fait ressentir, sans appuyer tant son style confine au dépouillement, une nostalgie pour ce là-bas dont Alice s’est extraite. Le souvenir de la vie ordinaire dont on se souvient quand plus rien ne fait sens.

Oona et elle avaient l’habitude de se raconter ce genre d’histoires, de dramatiser des incidents, si bien que tout prenait un aspect ironique, comique ; leur vie était une succession de rencontres qui s’étaient produites sans jamais les affecter réellement, du moins dans le récit qu’elles en faisaient ; leur personnage demeurait imperturbable et omniscient.

La mise en récit de sa propre vie comme défense malheureuse, distanciation en l’occurrence de sentiments et de ratages dont Emma Cline donne à entendre le commun et l’absence d’échappatoire. On vend des vêtements, puis ses propres petites culottes, on joue avec la certitude que tout ceci va mal finir : bref on se fait un autre récit pour ne pas voir les impasses d’une carrière cinématographique qui ne démarre pas. La nouvelle mime alors cette mise en récit de soi, cette distanciation d’anecdotes qui peinent, pour nous préserver ou nous enfoncer, à imposer une solution de continuité.

Il suffisait de presser légèrement sur le monde pour qu’il montre ses aspects étranges, qu’il dévoile ses désirs flous et impuissants.

Emma Cline l’indique assez clairement : la mise en récit sert à acclimater la réalité sordide de nos vies. Tout fini par prendre « l’apparence d’une plaisanterie inoffensive ». La répétition finit par valoir acquiescement. La littérature sert peut-être à diverger de ce consentement au monde ou, plus simplement, à en suspendre la conclusion possiblement tragique comme le fait le très beau dénouement de ce récit.



Merci à la Table Ronde pour l’envoi de cette nouvelle.

Los Angeles (trad Jean Esch, 42 pages, 5 euros)

 

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