Les myrtilles du Moléson Giovanni Orelli

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Passion du langage, de ses sonorités et de ses variations de sens. En neuf récits, Giovanni Orelli promène son attentive ironie, son érudition mais surtout une compréhension profonde des hommes, des bêtes, des mythes bibliques ou antiques dont ses nouvelles offrent de saisissants et pluriels reflets. Les myrtilles de Moléson a cette puissance rare des recueils qui font entendre une voix.

Je persévère à aimer être dépassé en tant que lecteur, renvoyé à mes insuffisances en tant que lecteur. Découvrir l’œuvre de Giovanni Orelli laisse place à une délicieuse et souriante incompréhension. Flottement face à ce qui nous dépasse, ce qui revient, relie : langage et religion. Le premier point commun de toutes ces nouvelles (on hésite à employer ce terme tant la fiction y est un appui à la réflexion, tant la réécriture de mythes bibliques éclaire le cheminement intellectuel de l’auteur) serait la capacité de Giovanni Orelli de rendre insituable son sujet. Difficile de débrouiller si le Je du narrateur est sujet et objet. Génitif objet ou génitif sujet comme l’explique le récit « L’enlèvement des Sabines » et souligne une des voix narratives qui traverse (hante ?) ce recueil : celle professorale pour qui le langage est avant tout matière d’enseignement. Le lecteur, à mon instar, peut alors se trouver dépasser par cette constante référence au latin, à ce démon de la citation et de la digression. Au fond, Les myrtilles de Moléson sont peut-être des essais, au sens que Montaigne, sauts et gambades mais aussi oisive érudition, donnait à son autoportrait en anamorphose. Le point aveugle de tous ces essais serait alors le tertium datur : la troisième solution que le langage suppose à toute alternative toute tranchée.

Un mot qui tombe, et c’est le vide qui entoure la phrase, le texte : le monde.

C’est aussi l’accès à une certaine forme de poésie. Un narrateur, toujours seulement possiblement l’auteur, compose des poèmes pour ses élèves. Toute la matière, la sonorité et les différences de prononciation d’une langue : l’italien tel qu’il se parle, s’enseigne et s’écrit en Suisse. On pense alors aux biffures de Leiris ou comment le tangage des mots, leur variation sonore sert de révélation, remémoration et retard, de la lacune de notre rapport au réel. Toutes les réflexions des Myrtilles du Moléson s’élancent donc d’un mot, de ses sens différents, des acceptations plurielles dans lesquels enfin se reconnaître. « Merveille des noms. Mer calme et raz-de-marée.»

Nous devrions faire avec les mots ce que fait le bon poète quand il prend un mot usé comme un chiffon rouge et qu’il en fait un étendard à la liberté.

Une liberté, chez Giovanni Orelli pleine non pas de tradition mais d’érudition. Il faudrait, une fois pour toutes, accepter ce que le terme doit avoir de joueur, de conscient de cet éphémère qui se répète, de ces questions déjà posées qui ne cessent de nous revenir. Le vert paradis des amours enfantines serait-il miroir de nos aspirations à un paradis post-mortem. C’est en érudit que l’auteur transmet l’empreinte catholique de son propos. Une réserve de mythes à interroger comme on joue sur les différents sens d’un mot. Le veau gras et le fils prodigue, l’enlèvement des sabines ou le carnaval des chaldéens sont autant d’emprunts et de détours à cette attention au monde, ironique sans jamais être désabusé. C’est cette voix que l’on entend dans tout le recueil : précieux et rare.



Merci aux éditions de la Baconnière pour l’envoi de ce livre.

Les myrtilles de Moléson (trad : Renato Weber, 131 pages, 20 euros)

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