La mauvaise herbe Agustin Martinez

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Qui, au fond, est innocent, une très jeune fille peut-elle commanditer le meurtre de ses parents, le manque d’argent, l’isolement d’une sociabilité mensongère conduisent-ils toujours aux pires ? Agustín Martínez entremêle toutes ces questions dans une intrigue qui, dans un perpétuel jeu de masque, révèle les arrangements de tout un village, perdu dans le désert Andalou. La mauvaise herbe joue admirablement de la temporalité et des points de vue pour happer son lecteur dans la révélation des failles et souffrances de tout ce village.

Je ne connaissais absolument pas l’œuvre d’Agustín Martínez dont c’est ici le second roman traduit. Une belle découverte que cet auteur qui sait effacer l’inscription sociale de son travail comme un jeu de masque supplémentaire. La mauvaise herbe joue très habilement sur les fausses culpabilités et sur les représentations préconçues qui les alimentent. Un discours, rien de plus qui peut s’ajouter l’un à l’autre. Une façon aussi de rythmer un récit dans lequel il est difficile de ne pas se laisser prendre. Le grand coupable, toujours désigné, est bien sûr internet. Certains chapitres s’entrecoupent d’extrait de chat.  Miriam discute en ligne avec ses copains, émet menaces et accusations. L’auteur remet ce genre de propos exactement à sa place : des discussions en l’air. Le monde adulte pourtant les archives, les prends pour argent comptant. Leur nature en sera toujours ambivalente d’être instrumentalisée. Tout le village s’empare de cette rumeur. Agustín Martínez joue de ces propos pour faire des retours en arrière, des sortes d’explications fantomatiques, des tracés vers l’incompréhension que tout un chacun devient à lui-même.

Le roman noir c’est aussi l’invention d’un salaud. La mauvaise herbe interroge alors la fascination du lecteur pour ce type de personnages : au fil du récit, la culpabilité de Miriam s’estompe pour imposer celle du Blond, de Jacobo et surtout de l’argent dont le manque partout se fait sentir. Le mot n’est pas prononcé, sa réalité en devient d’autant plus palpable : l’Andalousie en pleine récession économique, le chômage et cette idée un peu dingue de revenir dans le village d’enfance d’Irene. Le passé se réveille. D’abord celui de Jacobo, un homme paumé dont La mauvaise herbe fait un portrait saisissant : les rêves qui nous échappent, la vie qui s’enfuit, les ellipses sur nos ordinaires saloperies. L’impuissance surtout rendue dans toute son inexorable. Reste alors « la justice des hommes qui n’ont plus rien à perdre. » Tout revient, la vie dans un village, la sensation d’être perdue pour une adolescente dès que son train de vie se réduit. La vie dans sa réalité sans échappatoire. Une sorte de folie où tout le monde s’espionne : un élément parfait pour raconter une histoire en la fragmentant. Jacobo se perd dans des trafics peu glorieux, dans le mensonge. Irène s’éloigne, revient à ses premiers amours. Le meurtre est plus compliqué, les fausses pistes abondent notamment grâce au joli personnage de Nora, une avocate perdue qui trouve dans l’innocence de Miriam une parfaite cause à défendre. Au risque de l’erreur et du parfait dilemme auquel expose ce roman si plaisant.



Un grand merci aux éditions Actes Sud pour l’envoi de ce roman.

La mauvaise herbe (trad  Amandine Py, 392 pages, 23 euros)

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