L’amant fantasmatique, Journal de Kerbihan Guy Bordin

Les avides incarnations des fantasmes, les dédoublements meurtriers du désir, les rêves et leurs diurnes compensations. Derrière une légende inuite, sous le masque de la mandragore, Guy Bordin livre une histoire d’attraction et de magie, de fantasmes crus et d’oniriques passages à l’acte. L’amant fantasmatique où les arrangements du désir malgré une rencontre un peu ratée.

Il arrive parfois que des livres, en dépit d’une très bonne idée (pour les Inuits chaque amant projetterait un double idéal, dévorateur, image de la tentation de la perfection de l’être aimé ; en occident les succubes ou incubes dévorent ceux qui en « vain » répandent le sperme, image du contrôle religieux des naissances) peine à totalement vous emporter. Je n’aime pas voir au cours de ma lecture ce qui pour moi n’irait pas, la détestable impression de se sentir supérieur au livre. Avec L’amant fantasmatique, très subjectivement c’est une rencontre stylistique qui s’est trouvée prise en défaut. Le désir se fout de la syntaxe, en rendre compte importe quand il creuse la langue, l’emporte. L’écriture de Guy Bordin m’a parut toujours un rien trop descriptive, sans ellipses. Peut-être, ce serait très présomptueux de ma part à cause de phrase, trop informatives donc, dont la tension rythmique ne sonne pas. Disons aussi que le fantasme est, certes stéréotypée (un serveur, un gendarme, un prêtre) mais l’écriture ne se doit-elle pas de distancier le convenu de ses scènes ? Alors certes, l’auteur nous plonge dans le peu de fiabilité d’un garçon de bonne famille qui tombe éperdument amoureux de son cousin avec lequel il s’enferme pour rédiger des fiches. Nous en arrivons au deuxième point qui m’a retenu. Essayons de l’exprimer sans embarras : existerait-il une littérature spécifiquement gay, dont la crudité des scènes de sexes entre hommes serait destinée seulement à un public gay ? Cela me dérange profondément de le penser tant cela révèle une vision hétéronormée. On ne parle jamais d’une littérature spécifiquement hétérosexuelle. Et pourtant, les scènes de cul n’ont rien laissé frémir en moi. Encore une fois, sans doute n’est-ce qu’un point de vue éminemment subjectif, voilà qui est dommage quand cette sexualité omniprésente est censée tendre un miroir fantasmatique à nos représentations de la réalité.

En dépit de toutes ces réserves, L’amant fantasmatique a fini par me parler quand il verse ouvertement dans le fantastique. Le narrateur rituellement se branle sur des mandragores, finit par voir des esprits, des incarnations de son désir. La partie la plus réussie de ce roman est celle où la part du rêve empiète sur celle de la réalité, où le récit devient seulement une reconstitution. Le narrateur peut-être a-t-il tout rêve, sans doute possédé par ses propres démons a t-il été contraint de tuer tous ceux qui s’opposaient à sa vision. En tant qu’ethnologue, Guy Bordin le sait sans aucun doute, les manifestations magiques sont aussi un dérangement mental, l’épreuve sans aucun doute d’une trop grande solitude. Le narrateur veut-il seulement donner corps à son désir. C’est dans cette ambivalence que L’amant fantasmatique trouve tout son intérêt.


Merci à l’auteur pour l’envoi de son livre.

L’amant fantasmatique (117 pages, 19 euros)

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